Avec l’étiage extrêmement prononcé qui perdure, il est bien clair qu’il faut profiter de nous rendre dans les zones à risques, notre choix s’est donc porté sur le prolongement du labyrinthe de Camelot, au terme de la galerie Excalibur, où d’ailleurs nous étions déjà voici 3 mois. Pour ce faire, avec Claudal nous nous retrouvons une fois de plus pour faire équipe, il est 08h15 lorsque nous franchissons la porte des Follatons.

Dans les puits, nous profitons de poursuivre l’opération de rééquipement entamé lors de la dernière sortie. Donc après la corde du puits da la Cathédrale nous changeons cette fois celle du P17, le puits de la Peur, qui date pourtant d’à peine deux ans. L’usure prématurée provient en partie de la glaise qui nous encombre lors de la remontée, dont les micros cristaux contenus dans l’argile sont autant de micros couteaux cisaillant irrémédiablement les fibres.

Au-delà, comme la zone des puits est terminée, nous décidons d’emporter le solde de corde, soit environ 80 mètres, dans la zone d’exploration. Nos sacs étant déjà pleins, plus guère le choix que se coltiner un troisième kit pour deux ! Ce dernier sera quelque peu allégé au franchissement de la remontée dans la salle Baudegamu, dont la corde a récemment été « kidnappée » par nos amis Genevois, mais c’était pour la bonne cause, pour les besoins de l’exploration du prolongement de la galerie Viviane.

En chemin, nous constatons par ailleurs que le niveau des lacs n’a jamais été aussi bas que ce que nous connaissons. Le plus éloquent c’est le dernier de la galerie Viviane Dame-des-Lacs, dont le niveau est 90 centimètres plus bas que la normale.

Nous arrivons bientôt au labyrinthe de Camelot, le terme de la dernière expédition. Sans compter le temps des remplacements de cordes, nous constatons que le trajet depuis l’entrée nous a déjà pris 4 heures 30, ce qui va impliquer une dizaine d’heures aller-retour rien que pour les déplacements. A ce stade, nous pouvons facilement imaginer que nos limites vont être rapidement atteintes si nous voulons rester dans des horaires raisonnables. D’autant que tout le secteur en cours d’exploration ne se prête guère à l’installation d’un bivouac, bref, dans un avenir proche il va falloir trouver des solutions…

Pour l’heure, dans un premier temps nous posons un amarrage et une corde à nœuds dans le ressaut terminal de la galerie Excalibur. Ensuite, nous avons 2 possibilités d’exploration : Soit poursuivre le conduit actif du labyrinthe, soit attaquer une lucarne au plafond pour accéder dans un étage supérieur, aperçu brièvement lors de la dernière sortie. C’est finalement cette dernière option qui aura les faveurs de la motivation du moment.

Après une escalade facile de quelques mètres, un petit conduit remontant débouche rapidement dans une belle galerie qui file de par et d’autre. D’un côté, elle bute rapidement sur un puits, dont la partie inférieur n’est autre que la fin de la galerie Excalibur, peu après le ressaut que nous venons d’équiper. De l’autre, nous pouvons suivre une belle galerie de 3 x 4 mètres en moyenne. La particularité, c’est qu’il s’agit d’une succession de gours de géant, dont certains font presque 3 mètres de profondeur !

Par définition, un gour est une formation de calcite qui se forme quand l’eau circule faiblement ou par intermittence à l’intérieur d’une excavation remplie d’eau, provoquant ainsi une forte concentration de carbonate de calcium qui va alors se déposer en périphérie du bassin, dans l’axe de la pente. Cette eau va ensuite déborder dans le réceptacle inférieur, répétant ainsi de suite le processus en aval. Avec le temps, ces bordures prennent de l’ampleur et de la hauteur, ce qui bien sûr augmente également la profondeur du gour.

Pour les spéléologues en exploration, la découverte de gours est en quelque sorte la cerise sur le gâteau, car ce n’est guère courant d’en rencontrer. Mais pour nous actuellement, cette belle cerise a un goût d’amertume… certain !

En effet, d’abord les gours sont exempts d’eau, ce qui à priori pourrait nous faciliter la tâche question progression, mais ce n’est même pas vrai car en vérité, il ne s’agit pas de calcite comme on pourrait l’imaginer, mais d’argile…

Résultat : Devant nous c’est Byzance, une succession de grands gours magnifiques et immaculés, mais derrière après notre passage, le bourbier total, un vrai champ de bataille ! De plus, certains gours sont étonnamment hauts, le passage d’un à l’autre occasionne bien sûr quelques difficultés pour escalader ou désescalader ces murs d’argile, c’est « Holiday on Ice » version glaise ! Et tout cela n’arrange rien non plus pour faire les relevés topographiques, bref, bonjour l’ambiance !...

Ces formations de géants s’étalent sur plus de 120 mètres, puis, à la sortie d’un virage, la configuration change soudain pour faire place à une petite zone de gros blocs effondrés. Ce changement est dû au fait que nous venons de recouper une galerie fossile en rive droite, d’environ 3 x 5 mètres. De belles perspectives, mais ce sera pour une autre fois !

Dès lors, ce n’est pas sans nous déplaire que nous suivons un conduit enfin plat et plus ou moins propre, qui plus est avec des dimensions sympathiques de 3 x 9 mètres ! Ici, de surcroît le décor est agréable, de grandes coulées stalagmitiques massives recouvrent toute la hauteur des parois, formant une sorte de grand rideau continu.

Nous sommes dans une longue rectiligne, ce qui nous permet aussi d’effectuer la visée record du jour (voir de la nuit c’est selon !), soit 18,25 mètres d’un seul jet ! A ce propos, c’est la seconde sortie consécutive où nous vérifions systématiquement chaque visée à l’aide de 2 techniques différentes. C’est d’abord la visée électronique avec un DistoX, puis la visée analogique à l’aide d’une boussole et d’un clisimètre Suunto. Les déboires en ce début d’année avec nos appareils électroniques nous ont rendus quelque peu méfiants envers ces outils extrêmement sensibles, le fait de vérifier nos mesures permet ainsi de lever le moindre doute quant à la précision.

En clair, lorsque nous avons plus d’un grade de différence entre les appareils, les visées sont effectuées une nouvelle fois, afin de connaître qui est dans l’erreur. Etonnamment, les différences allaient parfois jusqu’à 4 grades, ce qui est somme toute énorme. Et n’allez pas croire que c’était toujours le même appareil qui était dans le faux, des fois c’était l’un, parfois l’autre. La moralité, c’est que nous avons trouvé un moyen sans faille de garantir la précision de nos mesures, je pense que tous les topographes quelque peu soucieux d’un travail de qualité, devraient procéder de cette manière. D’autant que cette vérification ne prend pas de temps supplémentaire puisqu’elle est réalisée par l’assistant topographe, donc celui qui patiente bien souvent en attendant que le dessinateur relève les mesures et autres détails.

Au bout de la rectiligne, nous franchissons une sorte de petit col formé par un grand dôme stalagmitique. Derrière, une vue plongeante nous met directement en émoi, une dernière pente d’argile recoupe sur un nouveau drain aquatique assez important. Là, d’un côté une galerie à demi immergée de 2 x 3 mètres, qui d’ailleurs doit probablement être le prolongement inférieur du labyrinthe de Camelot, celui même où nous hésitions à poursuivre quelques heures plus tôt, et de l’autre, la suite se présente fort réjouissante, il s’agit d’une succession de bassins s’enchainant dans une galerie de 3-4 mètres de large pour environ 8 de haut. Il semble dès lors que la galerie principale a repris ses bonnes habitudes… ah bah c’est tant mieux après ce que nous venons de franchir !

Toutefois, il est actuellement 19h30, donc c’est bien trop tard pour prolonger quelque peu notre aventure. En plus, cela fait un bon moment que le moral n’y est plus vraiment, nul besoin de chercher à savoir pourquoi !...

Le chemin du retour ne posera pas de problème, si ce n’est un fort ralentissement dans la zone des puits de sortie. Pour ma part il semble que c’est lié au fait que je n’ai pour ainsi dire rien mangé de la journée, à cause de problèmes d’estomac. Pour Claudal, la fatigue serait plutôt en rapport au manque d’entraînement ; pas de spéléo et autre activité depuis 3 mois. Cette question soulève un paradoxe propre aux longues sorties d’exploration, voire même de la pratique de la spéléologie en général :

- Moins on en fait et plus on a de la peine physiquement !
- Plus on a de la peine physiquement et moins on a envie d’en faire !

A minuit 45, à défaut d’une jolie fée… c’est une belle nuit étoilée qui nous accueille à la sortie, cela fait 16 heures 30 que nous sommes entrés. A cela, 191 mètres de nouvelles galeries viennent s’ajouter, le développement passe ainsi à 16'593 mètres.