Pour cela, 2 vieux baroudeurs ont répondu à l’appel de la découverte, Claudal et votre serviteur ! Après une année de diète d’exploration, cela fait plaisir de côtoyer à nouveau l’équipier des grands moments du réseau, d’autant que cela crée ainsi l’opportunité de nous aventurer aux confins du réseau, là où l’exploration demande une certaine endurance puisqu’il faut aligner les kilomètres de déplacement souterrain.

Jeudi
C’est en semaine que nous débutons ce camp, ainsi il nous restera au moins un jour de repos durant le week-end, avant de recommencer le travail. Pour nous équiper, une fois de plus c’est le grand luxe, nous pouvons compter sur un vestiaire bien chauffé : l’appartement de notre ami Millepattes ! Et comme il se propose aimablement de nous rapprocher de l’entrée avec son véhicule tout terrain, nous profitons de l’occasion pour laisser le nôtre sur le parking des grottes touristiques de l’Orbe. A priori, cela peut paraître un peu loin de la baume des Follatons, mais l’expérience nous a montré qu’en sortant du gouffre en étant mouillé, alors que les températures sont négatives, il vaut mieux marcher un peu plus pour nous changer bien à l’abri des courants d’air, ce qui n’est pas du tout le cas à l’emplacement habituel hivernal, soit le contour en épingle au bord de la route cantonale de la Vallée de Joux.

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Après s'être fait déposer à quelques minutes de l’entrée, l’unique effort consiste à gravir une pente raide d’une cinquantaine de mètres. Alors finalement, les sorties hivernales ça a du bon, pour l’accès au trou, on se fatigue moins qu’en été !

Il est 09h15 lorsque nous entrons dans le réseau. Claudal découvre avec étonnement l’intérieur boisé du bunker d’entrée... qui aujourd’hui, avec les 50 centimètres de couverture neigeuse et malgré les -3 degrés de température, est une parfaite isolation thermique. En effet, lors du camp de Noël nous avons constaté la présence de glace au départ du premier puits, maintenant il n’y a plus rien du tout. Les travaux de couverture n’ont donc pas été vains, ils ont tenu toutes leurs promesses !

La zone des puits est aussi parfaitement sèche, l’eau ne se manifeste seulement qu’à partir de -130, au plafond de la salle de la Cathédrale, ruisseau qui d’ailleurs ne se tarit jamais. Cette eau alimente plus bas la rivière Changelin, donc même en hiver, toujours pas moyen d’éviter la gymnastique au passage du Mouille-Cravate, surtout avec des sacs pleins à craquer.

Après la corvée de déglaisage au débouché de la galerie des Epées, nous prenons la direction du point le plus occidental du réseau, à exactement 5 kilomètres de l’entrée de la Grande grotte aux Fées, soit le terme du Labyrinthe des Eclaireurs. Cet endroit n’a pas revu des spéléologues depuis le mois d’octobre 2007, il était grand temps d’y remédier ! Depuis la salle du Col, il est amusant de constater que même que nous ne sommes pas venus ici depuis plus de 2 ans, nous enchaînons les passages comme si nous étions venus la veille ; il faut dire que la paire actuelle est la même qui a consacré 9 sorties à topographier ces 2 kilomètres de trajet, ceci explique cela !

Vers 11h30, nous sommes dans la galerie Glaisine à quelque 500 mètres de notre objectif. Nous arrivons à un passage qui nous a déjà posé problème à deux reprises, à savoir un lac temporaire bien profond et long d’une vingtaine de mètres. En principe, l’hiver est propice à ce que l’endroit soit parfaitement sec, mais actuellement nous pouvons que constater que notre théorie vient de tomber... à l’eau ! Sur le moment, c’est bien sûr la déception, notamment par le fait d’avoir parcouru tout ce chemin pour rien.

Toutefois, notre désappointement est rapidement digéré, car finalement ce n’est pas si grave, il suffit de modifier notre objectif. Nous avons l’avantage d’avoir exploré la quasi-totalité du réseau, nous savons exactement où sont les endroits qui sont à poursuivre.
Le plus proche en distance est à moins de 500 mètres, il s’agit du prolongement logique de l’Allée des Fakirs, un conduit extrêmement ciselé ressemblant dans une moindre mesure à la galerie des Epées, sauf que c’est le premier endroit du genre à avoir été découvert dans le réseau. Ici, on comprend que lors des crues, toute l’eau se jette dans une brèche centrale, puis s’échappe en rive gauche par une petite galerie très corrodée.
C’est endroit s’avère donc intéressant, il ne peut que nous conduire vers un étage de creusement plus récent, voire peut-être même toujours actif.

Mais pour commencer, nous effectuons une reconnaissance des lieux. C’est notre manière d’opérer depuis quelques temps, d’une part cela nous apporte une vision d’ensemble de ce qui nous attend pour la journée, et d’autre part, puisque nous dessinons à l’échelle, nous pouvons ainsi orienter nos feuilles à dessin de manière optimale, afin de limiter les changements de feuilles.

Un peu plus tard, nous stoppons notre repérage dans une galerie un peu maigre par rapport aux habitudes, elle ne fait que 1,7 x 2,8 mètres ! Quelque peu déçus, nous venons de franchir une zone assez compliquée avec des conduits pas bien grands qui se recoupent un peu partout, totalisant 11 carrefours ! Ma foi, cela fait partie des bons et moins bons moments des aléas l’exploration, alors maintenant que la zone a été reconnue, c’est en spéléologues responsables qu’il ne reste plus qu’à topographier le tout. Pour cela nous revenons à notre point de départ, où pour commencer nous faisons la pause de midi, histoire d’emmagasiner assez de calories pour mener à bien la tâche qui nous attend !
Il est 13h30 lorsque nous attaquons les relevés. Après quelques minutes, je ressens déjà l’effet d’un courant frais balayant les lieux, donc retour à la case départ (sans toucher la prime...) afin de passer une petite laine...

En fin d’après midi, j’avance latéralement dans un petit méandre étroit, afin de raccorder une énième boucle, quand soudain, je ne remarque pas une petite saillie au niveau de l’arrière cuisse. Résultat : combi et sous combi sont coupés nets, une lame de couteau n’aurait pas fait mieux ! Malgré la douleur, il semble que l’épiderme n’a pas été touché, mais pour la petite histoire, ce n’est que le soir que je constaterai une balafre sanguinolente de huit centimètres ! D’après Claudal c’était limite, donc pour les explos à venir, faudra peut-être prévoir le matos de couture !

Il est 20 heures lorsque nous arrivons enfin à l’endroit où nous avons stoppé notre reconnaissance quelques heures plus tôt, mais cette fois, avec plus de 210 mètres de galeries sur nos feuilles topo. Ici, la suite s’avère bien plus intéressante que les petits conduits qui nous ont amené jusqu’ici. La raison est que la galerie est maintenant unique, c’est forcément plus grand. Par ailleurs, le courant d’air est toujours présent, donc l’endroit est à poursuivre un jour ou l’autre, il est fort probable que ces « Catacombes », le nom donné à ce secteur sombre et austère, nous conduiront un jour vers quelque chose de bien plus intéressant.

Pour nous, il est temps maintenant de rejoindre le bivouac. En chemin, pour l’un comme pour l’autre, la fatigue nous gagne lentement. Les pertes de calories dans les petites galeries ventilées y sont vraisemblablement pour quelque chose, mais les 4 kilomètres de déplacement du jour comptent également. Nous nous plaisons à nous rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, nous faisions l’aller-retour au fond du réseau lors de la même journée, soit une dizaine de kilomètres. Donc de deux choses l’une, soit nous sommes en manque d’entraînement, soit nous commençons à nous faire vieux !...

Arrivés au bas de la salle Pentue, c’est toujours avec plaisir que nous gravissons le denier raidillon, nous savons pertinemment que dans 2 minutes nous serons dans la voisine, la salle du Dôme, où trône majestueusement la tente de notre cher bivouac. Là, le dernier effort consiste à changer de tenue pour passer un pantalon de training et une veste Polaire, puis d’enfiler nos jolies pantoufles ; même que c’est des baskets, quel bonheur de troquer ces fichues bottes en caoutchouc, autant indispensables qu’inconfortables ! Vient alors le moment de faire la cuisine, mais comme généralement nous avons hâte de manger quelque chose de chaud, cette tâche n’est pas du tout déplaisante. Vers minuit, la fatigue nous guette de plus en plus, le moment est venu de rejoindre nos sacs de couchage !

Vendredi
Il est 08h00 le bivouac s’éveille... exit la grasse matinée, un nouvel épisode de découvertes nous attend ! Pendant le déjeuner, changement de programme, nous prenons la décision de sortir dans la soirée ! En effet, comme cette seconde journée s’avère plus reposante puisque nous allons travailler dans une galerie qui démarre à seulement 800 mètres d’ici, nous estimons que la forme sera suffisante pour ressortir directement. Ainsi, cela nous fait gagner une nuit de camping... car il n’y a pas à dire : rien ne vaut un lit bien douillet ! Et au pire, si ce soir nous sommes vraiment fatigués, et bien il suffira de retourner au bivouac et ressortir le lendemain, comme c’était prévu.
Un peu plus tard, après la corvée de vaisselle, le campement est rangé tout beau tout propre, manque juste le coup de balai !

Nous rejoignons ensuite la salle du Col, à quarante minutes de là. C’est ici, en juin 2008, que nous avons escaladé une des parois afin de placer le plus haut possible une balise émettrice U-GPS, pour qu’une équipe en surface puisse localiser le signal ; le but de l’opération étant de positionner précisément le plan de la grotte par rapport au terrain. Ce jour-là, après avoir escaladé la paroi, quelle ne fût pas notre surprise de découvrir un prolongement escarpé et inattendu, nous amenant à des hauteurs insoupçonnées de la salle, au départ d’une belle galerie concrétionnée, nommée tout récemment : Galerie Céleste.

Avec des dimensions de 7 x 7 mètres et un concrétionnement abondant, autant dire que notre niveau de motivation est à la hauteur du nom de la galerie ! Après avoir contourné un petit ressaut, nous voyons que la galerie se poursuit sur une vingtaine de mètres, avec au milieu une grande doline occupant toute la largeur. Cependant, depuis où nous sommes, nos puissants éclairages nous indiquent que les choses se présentent assez mal puisqu’à l’autre bout, le sol composé de sédiments argileux, remonte jusqu’au niveau de la voûte.

- Ce n'est pas possible, une si belle galerie qui se termine au bout de 20 mètres ?

Pendant que Claudal remonte la pente pour confirmer nos impressions, j’inspecte le fond de la doline faisant office de perte, malheureusement sans suite.
Une grande déception s’empare de ma personne, quand soudain, Claudal m’annonce qu’au plafond cela continue par un petit laminoir, où de surcroît il souffle un bon courant d’air. Je m’empresse de le rejoindre, l’excitation refait brusquement surface ! Ici, en des temps très anciens, les sédiments charriés par des crues dantesques ont presque entièrement comblé cette galerie pourtant imposante, il ne subsiste qu’un tout petit passage haut comme 3 pommes... Après quelques mètres, nous distinguons que cela s’agrandit de nouveau, notre périple peut continuer !

Après avoir débarrassé le plancher de quelques cailloux et protubérances, c’est bien sûr en rampant que nous franchissons ce passage un peu salissant. Après, c’est un peu plus grand, mais toujours pas de quoi nous tenir debout. Nous sommes dans une petite chambre argileuse qui nargue à nouveau nos esprits, mais rapidement, un petit passage en paroi a vite fait de redorer le blason de notre bonheur ! En effet, la galerie a repris soudain ses aises, elle fait maintenant 6 x 8 mètres !

Nous avançons au centre du conduit, et bientôt nous longeons une petite forêt appelée communément : Sapins d’argile. Il s’agit de petites formations de 1 à 15 centimètres de haut, ayant l’allure de petits conifères. On ne les trouve que sur des remplissages argilo sableux, c’est les gouttes d'eau tombant du plafond qui érodent la matière et forment ces sculptures inattendues, dont leur beauté n’a d’égal que leur fragilité. Après le premier acte du spectacle, c’est presque sans transition que nous passons au second, où au détour d’une chicane de la galerie, nous découvrons un décor digne d’une cavité touristique. Sur une quinzaine de mètres, s’entremêlent des centaines de stalagmites, stalactites, draperies et autres coulées de calcite, c’est tout simplement féerique...

Au-delà, toujours pas de quoi nous ennuyer, nous passons sous un énorme bloc qui a l'air d'être suspendu dans le vide, puis la galerie plonge sur une sorte de grand chaos formant une salle. La largeur passe à 10 mètres, tandis que le plafond se hisse à 25 mètres. Au point bas, une grande cheminée démarre le long d’une paroi, dont la hauteur est précisément mesurée à l’aide de notre appareil laser, qui indique 64 mètres ! Nous sommes entrés dans le domaine de l'immensément grand, le spéléologue est bien peu de chose à côté...

Sur ce tapis de blocs, sous poursuivons notre chemin qui ne tarde pas à grimper, c’est les montagnes russes ! Bientôt, un bloc grand comme une villa nous barre la route, avec de part et d’autre quelques pâles copies ! En bordure de paroi, c’est sur un de ces rochers que nous portons notre choix, nécessitant une escalade un peu exposée de 4 mètres. Il faudra penser à prendre un bout de corde pour la prochaine fois, ce serait raisonnable.

Dès lors, les travaux de topographie commencent à nous miner gentiment le moral, il est bientôt temps de mettre un terme à notre escapade, d’autant que la journée arrive à son terme. Une trentaine de mètres plus loin, la galerie est toujours aussi large et semble se refermer brusquement, c’est donc l’endroit où de toute façon nous allons nous arrêter. Une nouvelle cheminée, cette fois en paroi de gauche, est mesurée sur une hauteur de 51 mètres. C’est la troisième que nous mesurons dans le secteur, indiquant qu’elles se terminent toutes à la même altitude, la raison est probablement liée aux couches géologiques.

Pendant que je finalise mon dessin, Claudal se tient au niveau de dernier point topographique et m’annonce une nouvelle sympathique : L’endroit qui semblait terminer la galerie n’est en fait qu’un court rétrécissement, un de plus ! En effet, sans faire un pas supplémentaire, il distingue déjà qu’au-delà la galerie reprend sa grâce volumineuse ! C’est parfait, rien de tel qu’une bonne nouvelle pour clôturer une si belle journée d’exploration, en attendant de revenir vers cet endroit, qui a l'air de promettre monts et merveilles...

Jusqu'ici, nous venons de parcourir environ 170 mètres, et chose étonnante, cette galerie Céleste est parfaitement rectiligne. Où nous conduit-elle ? Allons-nous rencontrer d’autres merveilles ? Des questions qui vont trotter quelque temps dans nos esprits, en attendant de revenir.

Il est 18h30, le moment est venu de battre en retraite. Un peu plus tard, nous arrivons au Terminal, l’endroit où le matin même nous avons déposé quelques affaires. C’est également le lieu où nous devons faire un choix : La direction du bivouac ou celle de la sortie ? Actuellement, la forme est toujours bonne, donc à nous la surface ! D’autant que si nous ne traînassons pas trop en montant... il sera peut-être possible de trouver un établissement encore ouvert, histoire de manger un morceau ! On se motive comme on peut, alors c’est quelque peu revigoré par notre décision que le duo se met en route. Pourtant, petit à petit, les 2 journées accumulées ne tardent pas à nous rappeler qu’elles ont puisé en nous quelques ressources. Déjà dans la galerie du Graal, où nos sacs nous donnent l’impression qu’ils sont 2 fois plus lourds, mais c’est aussi dans la remontée des puits, qui pour certains deviennent interminables !

Il est 21h30 lorsque nous mettons notre nez dehors, il ne fait pas trop froid, juste -1 degré. Mais pas de quoi s’éterniser, il faut encore redescendre à notre véhicule stationné sur le parking des grottes de l’Orbe, ce qui nous prendra encore 45 minutes en passant par le sentier des Fées, avec un petit clin d’oeil au passage de la Grande grotte ! Tenté par une petite visite en nocturne ? Vraiment pas le moment !...

Avec un peu plus de 36 heures, ce camp est un bon cru, nous avons réalisé presque 400 mètres de découvertes entièrement topographiées, ce qui permet au développement de dépasser maintenant la barre des 15 kilomètres.