NDLR : Cette année, lors des sorties de janvier et février, nous nous sommes rendus compte que les expéditions hivernales occasionnaient de réels dangers dans les puits d’entrée de la Baume des Follatons, à cause de la glace. En effet, depuis l’été 2008, époque à laquelle nous avons ouvert la cavité, nous avons par la même modifié la climatologie interne, notamment par la présence d’un puissant courant d’air qui s’est aussitôt formé.

A la belle saison, ce courant exhale par l’entrée supérieure et ne pose aucun problème pour nous. En revanche, au moment où les températures baissent et que l’air extérieur devient plus froid que celui de la grotte, cela provoque une inversion du flux, et dès lors l’entrée supérieure se met à aspirer l’air de surface. Pour les spéléologues, la conséquence se manifeste lorsque l’hiver s’installe et que les températures passent en dessous du zéro. A ce moment, l’eau qui ruisselle ou qui est présente sur les parois du gouffre, va rapidement se transformer en glace, dont le manteau s’épaissira au fil des jours, tant que les températures restent négatives. Cette année, à la mi-février, nous avons constaté des quantités phénoménales jusqu’à près de 50 mètres de profondeur !

Concrètement, sans compter une longueur de corde qui était hors d’usage car emprisonnée dans une gangue de glace de 50 centimètres d’épaisseur, ou alors les risques de descendre ou monter sur une corde gelée, le vrai danger, c’est surtout des pans entiers de parois à moitié décollées, des grandes pendeloques, colonnes, stalactites et autres formations glacées, pouvant se détacher au moindre choc ou hausse de température. En sachant qu’un cube de glace 50 centimètres de côté pèse environ 120 kilos, on imagine aisément les dangers que peuvent représenter cette présence redoutable, aussi belle qu'éphémère.

La vie étant trop courte pour se la jouer à la roulette russe dans cet antre gelé… alors plutôt que de renoncer aux sorties d’hiver, nous avons décidé de couvrir hermétiquement l’entrée du gouffre, afin d’empêcher que le courant d’air ne circule, le vrai responsable de nos angoisses…


Pierre, l'équipier du jour, étant retardé pour quelques obligations domestiques, le myriapode se rend déjà à pied d'oeuvre dans son carrosse bien chargé, avec tout le matériel nécessaire à l'opération.

Le hic, c'est qu'il ne s'agit tout de même pas d'un pick-up ou d'un autre gros 4x4, mais d'une simple familiale à transmission intégrale, d'où quelques appréhensions au moment de franchir les passages un peu délicats, où les gros engins de débardage ont laissés de magnifiques bauges qui doivent faire le bonheur des sangliers de la région !

Mais avec détermination, des sueurs froides et une voiture embardouflée jusqu'au toit, le Millepattes est parvenu à accoster à bon port ! Là, le déchargement peut commencer et le magnifique tonneau qui servira de tunnel d'accès au gouffre est déposé à proximité de l'entrée, ainsi que tout l'outillage du parfait terrassier et bûcheron, également aligné au bord du chemin.

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Le Millepattes est occupé à creuser une rigole dans le remblai bordant l'orifice afin de placer le tonneau le plus bas possible, quand Pierre débarque sur le chantier, sac au dos.

- Super météo pour bosser dehors aujourd’hui ! Fait-il déjà en bras de chemise...
- En effet, il y a pile un an, au lendemain de notre conférence à Vallorbe, ça gelait sec par là ! Répond le Myriapode.

Puis, sans transition, les deux forçats du jour se répartissent pelles et pioche afin de faire un lit accueillant pour poser notre vestibule d'entrée improvisé. En creusant le bord du remblai, c'est un véritable ossuaire qui est remis au jour, reste de l'impressionnant cimetière qui avait été dégagé au début des travaux de désobstruction en 2006.

Une fois le tonneau bien positionné, c'est un travail de muratier qui commence, afin d'ériger un mur se soutènement de chaque côté du fût, afin que la couverture prévue n'appuie pas sur la tôle qui ne supporterait pas la contrainte.

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Au moins, ce ne sont pas les blocs qui manquent à proximité, suite aux deux ans de désobstruction, dont Pierre se charge de ravitailler la plate forme à mesure des besoins du botche de service, qui tâche de jointoyer au mieux les pièces avec un peu de terre trouvée sur place.

Une fois le mur érigé, suffisamment costaud et arasé, il s'agit d'attaquer la couverture...

Par chance, au moins pour nous, il reste de nombreux épicéas brisés par la tempête de neige du 31 décembre dernier, que les bûcherons ont laissé sur place; les jugeant de cubage insuffisant pour que leur débardage en vaille la peine. Par contre, à notre avantage, la section de ces plantes est idéale, et comme il s'agit dès lors de bois mort, on ne va pas hésiter à tailler sur place ce qu'il nous faut !

Le Millepattes maniant la tronçonneuse avec la même virtuosité que Pierre les cordes, il n'en fallait pas plus pour que la paire se mue illico en bûcherons-débardeurs pour l'occasion !

Nous débitons des rondins de 2,5 mètres et d'un diamètre de 30 centimètres pour les plus gros, qui, étant de longue date au sol et gorgés d'eau, faisaient évidemment un poids du diable !

Pour les amener sur place et les positionner au-dessus de l'entrée, nous les transportons sur l'épaule, chacun à une extrémité, ou alors en les traînant à la corde pour les plus lourds...

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Après avoir couvert environ un tiers de l'ouverture, l'heure de la pause pic-nic est la bienvenue afin de récupérer quelques forces; d'autant que pour la suite de l'ouvrage, il faudra aller chercher de nouvelles pièces abandonnées de plus en plus loin du chantier, avec les difficultés de transport en prime !

Nos épaules nous ont remerciés de ce travail de mulets; mais il faut reconnaître que notre abri prenait dorénavant l'allure d'un véritable bunker, qu'il fallait maintenant étanchéifier et dissimuler afin qu'il s'intègre au mieux à son environnement forestier.

Millepattes creuse encore devant l'entrée afin de dégager des matériaux pour "recrépir" les murs, tandis que Pierre va récupérer de la terre grasse sur les dalles calcaires du chemin, afin d'étancher les rondins et les camoufler.

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De la mousse, des feuilles mortes et autres brindilles, ainsi que le retour des branchages de l'ancienne couverture, viennent compléter l'ouvrage jusqu'à rendre l'entrée totalement invisible aux éventuels promeneurs; seul subsiste dorénavant l'ouverture du fût, lui-même verni couleur vert armée pour plus de discrétion... un vrai silo à missile !

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Pour les dernières finitions, plus qu’à se rendre à l'intérieur sans lumière et là, au moyen d'une baguette qu'il suffisait de passer entre les interstices, pour que le copain à l'extérieur puisse colmater les derniers joints encore visibles.

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Un ultime nettoyage de l'entrée s'impose avant de constater que, malgré l'étroitesse de la porte, le passage ne représente pas de difficulté particulière; une grande marche, juste après la porte, facilitant la réception à l'intérieur du bunker !

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Le seul inconvénient pour le futur, c'est que dorénavant il n'y aura plus la possibilité de savoir s’il fait encore jour dehors, avant d'avoir atteint la porte au retour des expéditions hypogées !

Satisfaits de l'ouvrage rondement mené, les deux compères n'ont plus qu’à recharger le matos, jeter un dernier regard sur l'ancienne entrée maintenant disparue, et redescendre au parc pour se rechanger !

Après un 4 heures-apéro chez le Millepattes, le duo du jour clôt cette magnifique journée autour de succulents filets de perches, dans un bistrot bien tranquille de la place...

Le Millepattes

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