De plus, nous avons « quartier libre » pour 1 à 2 jours (!), donc nous allons improviser en fonction des découvertes, de la motivation du moment, et finalement, de l'état de fatigue. Bref, advienne que pourra au royaume des conquérants !

C’est à l'aide de raquettes que nous accédons à l’entrée de la Baume des Follatons, c’est même un plaisir de marcher sur ce tapis moelleux, où la neige nous supporte pratiquement sans enfoncer. A l’entrée, les 60 à 80 centimètres de neige ne change rien, l’ouverture est bien dégagée. Avec les risques de chute de glace que nous avions rencontré lors du camp de Noël, nous décidons de nous attendre et alterner nos descentes entre chaque puits. Au bas du puits Cayenne, nous retrouvons la première corde en place, celle du premier puits étant récupérée à chaque fois. Ici, sur le palier une surprise nous guette, nous voyons quelques mètres en dessous que notre corde est emprisonnée dans une gangue de glace de près de 50 centimètres d’épaisseur. Le mou étant juste suffisant pour placer le descendeur et permettre d’approcher l’obstacle perturbateur, je poursuis ma lancée. A destination, je ne peux que constater que la corde est effectivement hors service pour la fin de la descente, soit environ 7 mètres en plein vide. C’est embêtant, pas moyen de descendre autrement, nous allons devoir improviser...

Heureusement, au niveau du palier la corde du premier puits dispose de quelques mètres en surplus, cela provient du fait qu’à l’entrée nous avons placé le premier amarrage beaucoup plus bas que la normale, à cause de la présence généreuse de la neige. En principe l’équipement débute sur un arbre au pied de l’entrée, donc à première vue cette économie inopinée devrait nous permettre de court-circuiter le tronçon manquant. Il faut parfois sacrifier du matériel sur l’autel des imprévus, c’est pourquoi, Claudal s’empresse de couper l’excédent de corde, il laisse quand même un nœud en fin de course, pour le cas où un touriste égaré viendrait par ici...

De mon côté, sur le brin valide juste avant la glace, il me suffit de faire un nœud d’amarrage pour ainsi accrocher le nouveau morceau récupéré. Un rapide coup d’œil plus bas m’indique que la longueur est suffisante, donc tout est rentré dans l’ordre, comme si de rien n’était ! L’aventure a pris un peu d’avance sur le planning, mais cela fait partie de ce que nous aimons et nous attire, la conquête souterraine ne serait jamais si savoureuse si elle n’était pas ponctuée de petites épreuves...

Dans la verticale suivante, le puits de la Douche, je suis impressionné par la quantité phénoménale de glace présente sur les parois. Il y a un mois, elle ne dépassait pas la moitié de ce puits de 20 mètres, aujourd’hui elle est présente jusqu’en bas. Une partie des parois étant normalement recouvertes d’une couche d’argile bien humide, le puissant courant d’air aspirant l’air froid de l’extérieur a gelé l’ensemble, créant ainsi une carapace glacée d’une dizaine de centimètres d’épaisseur. Cependant, avec le gel, la prise de volume a cisaillé et décollé cette couche en de multiples endroits, ne demandant qu’à tomber au moindre regain de température. En voyant la profusion de morceaux déjà échoués au bas du puits, on se rend compte qu’une bonne partie est déjà tombée, mais ce n’est rien en comparaison de ce qui est encore accroché. Il serait donc suicidaire de venir en ces lieux avec des températures positives, avec Claudal nous en venons même à nous demander s’il n’est pas dangereux de ressortir le lendemain en milieu de journée, à l’heure où généralement les températures extérieures sont les plus hautes. En tout cas cet antre glacé ne nous inspire guère, c’est pourquoi, nous poursuivons sans tarder notre route.

Plus bas, malgré le froid et la couverture de neige en surface, le franchissement du Mouille-Cravate ne contredit pas les habitudes, le ruisseau bien qu’inférieur à la normale est toujours présent, il faut alors jongler en appui sur les coudes et les pieds pour éviter l’eau. Il en est de même pour la dernière partie de la galerie du Graal, où l’étendue de certains lacs occasionne une belle gymnastique entre le corps et les sacs.
Rien de particulier à signaler pour la suite de notre chemin des écoliers, où même le franchissement des bassins profonds sur nos rondelles pneumatiques (!), n’est désormais qu’une simple formalité de progression.

Dans la galerie Arthur, nous arrivons à destination au terme de ce qui est connu. Il est 11h45, le trajet depuis l’entrée aura quand même nécessité 2 heures et demie. Après la pause repas, nous avons maintenant hâte de poursuivre le sentier de la découverte, dans ce conduit qui va bientôt sortir de l’oubli après une éternité de croissance. Rapidement, un élargissement se présente, nous passons devant une énorme méduse déployant sa robe de calcite, dont les tons s’entrechoquent entre le beige et le rouge sang. Une petite arrivée d’eau provient du plafond, et dans le lointain nous entendons un bruit de rivière. Cette nouvelle nous réjouit, attisant d’autant plus notre envie de poursuivre. Le long d’une belle coulée de calcite, une descente abrupte de quelques mètres nous amène au niveau d’un bassin profond, que l’on peut éviter sans peine. Le bruit d’eau se fait grandissant, après un bref rabaissement du plafond nous le rejoignons enfin.

Sous terre, avec la résonance de certains endroits, les bruits sont souvent déformés et trompeurs comme c’est la cas maintenant, car de la grosse rivière que l’on soupçonnait, il s’agit d’un simple ruisseau de quelques litres à la seconde. Il débouche en rive droite, c’est probablement la même eau qui se perd également à droite vers le début de la galerie Arthur. Nous poursuivons notre route, le ruisseau se fraye maintenant un chemin au centre de la galerie, dans une sorte de mini canyon. La roche ciselée et reluisante offre un spectacle de grande beauté, c’est magnifique. Dans cette galerie, de nombreuses lames nous rappellent la galerie des Epées version réduite, il faut donc également bien regarder où nous posons nos bottes.

Après une centaine de mètres, la rivière nous quitte une nouvelle fois, elle s’échappe cette fois dans un petit conduit rapidement impénétrable. C’est avec plaisir que nous retrouvons le calme de la topographie, dont les mouvements se répètent sans cesse à chaque changement de direction. La présence de nombreux bassins nous oblige parfois à jouer les équilibristes du grand écart, afin de passer en opposition pour éviter le bain. Bien que nous soyons toujours vêtus de nos combinaisons étanches, depuis un moment nous ressentons une sensation de froid. Il semble que la raison doit provenir d’un courant d’air qui nous accompagne, explication d’ailleurs plausible, car avec une section de galerie de 2 x 3 mètres, c’est contraire à la routine habituelle, donc le courant est plus concentré.

Après plus de 300 mètres d’exploration, une autre galerie débouche sur la gauche. Il doit s’agir d’une nouveau drain, qui comme la galerie Arthur doit être emprunté lors des crues. L’absence de sédiments nous le confirme, il semble que plus nous allons de l’avant et plus les risques seront proportionnels. Avec des dimensions similaires à notre conduit, l’avantage maintenant est que la suite qui se présente devant nous a doublé de volume ! Nous n’allons pas nous en plaindre, mais il est vrai que depuis quelques centaines de mètres nous commencions à nous sentir un peu à l’étroit, un manque certain d’habitude !...

Mais pour l’heure, la suite de l’exploration est reportée à une autre fois, après 8 heures de topographie le goût de l’exploration a fortement perdu de sa saveur ! Avec 340 mètres de relevés nous avons bien employé notre temps, c’est pourquoi, non seulement nous décidons d’entamer le retour, mais nous allons également emprunter le chemin de la surface. Donc la nuitée au bivouac n’est plus au programme, le lit bien douillet de la maison l’a avantageusement remplacé ! De plus, en ressortant au milieu de la nuit il n’y aura pas de soucis de glace dans le congélateur d’entrée... une raison de plus pour sortir au plus vite.

Sur le chemin du retour le moral est revenu, peut-être que « les chevaux sentent l’écurie », ou alors c’est le fait de bouger un peu après de nombreuses heures au ralentit. Arrivés au bassin où nous avons laissé nos esquifs gonflables, je m’élance en tête. Après 3 brassées un grand bruit significatif m’interpelle, Claudal fait des siennes ! Il s’est engagé trop brusquement dans l’embarcation en la projetant contre une paroi, effet radical quand celle-ci comporte quelques aspérités tranchantes ! Evidemment il a crevé sa chambre à air, c’est d’ailleurs lui, en ces lieux il y a plus d’une année, qui a déjà crevé le bateau gonflable, sauf qu’à cette époque nous étions tous les deux pénalisés pour le retour, obligés de franchir toute la zone de lacs à la nage.
Cette fois il n’y a que lui qui est sanctionné, j’aurai le malin plaisir de le voir barboter, assis bien confortablement dans mon pneumatique ! Mais la situation est plus humoristique que pathétique, avec une combinaison étanche et des gants Néoprène, ce n'est pas vraiment un problème de nager sur plusieurs dizaines de mètres, d’autant que nous regagnons la sortie.

Arrivés au départ de la galerie des Epées, nous pouvons enlever nos habits étanches désormais inutiles, ce serait même un handicap de les conserver pour remonter les puits. Ici, c’est la dernière halte, il ne reste plus qu’à franchir les 150 mètres de dénivellation qui nous sépare de la surface, ce qui représente environ 2 heures de progression. Il est 23h30 lorsque nous arrivons à l’extérieur, plus qu'à rejoindre en raquettes le parking. A minuit passé, c’est trop tard pour aller manger un morceau au bistrot du coin, nous devrons donc nous contenter du croque-monsieur au pub de Vallorbe ! Mais c’est toujours mieux que de se faire la popote au bivouac, actuellement nous sommes d’ailleurs très satisfaits d’avoir fait ce choix.

Pour la suite de l’exploration, il faudra que les températures se maintiennent au dessous du seuil, sinon nous devrons nous résigner à attendre la fin des crues de printemps, soit au bas mot 3 à 4 mois de diète « Féeléologique »...