Cela ne nous laisse pas suffisamment de temps pour partir en exploration, mais dans ce réseau comme partout ailleurs, il y a toujours de quoi occuper son temps, ne serait-ce que pour le bien être de se retrouver dans le monde des cavernes, que nous chérissons tant ! Mais ce n'est pas la seule motivation du jour, nous avons d'autres intentions.

Les puits d'entrée sont descendus sans encombres. Pour Joël, c'est de l'inconnu à partir du Goulet des Aveugles, à la cote de -60. Il y a donc belle lurette qu'il n'a pas mis les bottes dans le gouffre, c'est d'ailleurs une des raisons de sa présence aujourd'hui. En effet, dans un mois nous donnons une conférence publique à Vallorbe sur nos derniers travaux et découvertes, et c'est justement lui qui va s'occuper de parler de la Baume des Follatons. Donc il est clair que s'il veut parler d'un sujet en connaissance de cause, c'est peut-être mieux d'y être allé... au moins une fois !

Pour le franchissement de la galerie du Graal, les récents travaux "d'argilassement..." ont porté leur fruit, en jouant d'un peu d'agilité au passage des derniers petits lacs qui subsistent, il est maintenant possible de rester au sec. En revanche, la boue fait toujours partie franchement prenante, c'est d'ailleurs le petit côté négatif de ce nouvel itinéraire d'accès aux Fées ; entachant généreusement nos combinaisons, mais souillant également et immanquablement notre moral ! Heureusement, le premier bassin de la galerie des Epées est à moins de 50 mètres du débouché du Graal, ce qui permet de se refaire une petite beauté et retrouver un aspect plus présentable… Nous avons d'ailleurs placé des brosses à cet usage, posées à une hauteur que nous espérons suffisante par rapport au niveau de crue.

Cet endroit nous sert aussi de vestiaire afin d'enfiler les combinaisons étanches, indispensables pour le parcours aquatique qui nous attend pour rejoindre la salle Baudegamu, située à 450 mètres d'ici. C'est en se changeant que je demande l'heure à Joël, qui me répond qu'il n'a pas de montre ! Mais d'après lui ce n'est pas si important, son appareil de photo propose la date et l'heure. Après vérification, il m'annonce que la date du jour indique le mois de mai 2007 ?!!!... Au moins une chose est sûre, il n'a plus de soucis à se faire pour l'heure de sortie puisque de toute façon il n'en saura rien…

Ici, nous embarquons au passage les chambres à air de camion, déposées lors de la dernière sortie. C'est justement l'occasion de les tester aujourd'hui, car même si jusqu'à maintenant le bateau a sût prouver ses avantages, il comporte malgré tout des inconvénients. C'est notamment les difficultés pour entrer et sortir de l'embarcation sans risquer la crevaison, mais aussi les risques de coincements liés aux fréquents rappels de cordelette permettant de récupérer l'esquif monoplace pour chacun des participants. Quand on sait que le lac le plus long fait une quarantaine de mètres, on comprend aisément que le moindre blocage va impliquer la baignade sur une bonne distance. Sans compter le temps perdu dans toutes ces manœuvres de personnes et de sacs, qu'il faut évidemment doubler avec le chemin du retour. Par conséquent, si les chambres à air donnent satisfaction, ce serait une alternative intéressante.

Bientôt, le premier lac profond se présente. Nos combinaisons étanches ne protégeant pas du froid, le but de l'opération étant de rester le mieux possible hors de l'eau. Nous n'allons donc pas utiliser la chambre à air de manière traditionnelle, le corps maintenu en surface par les aisselles, mais plutôt en s'asseyant dans le trou central. Nous n'avons pas connaissance d'un quelconque retour d'expérience dans ce cas de figure, mais sur le principe il n'y a pas de raison pour que cela ne fonctionne pas !

Avec de l'eau jusqu'aux genoux, c'est quelque peu hésitant que je m'assois dans ce siège sans fond ! La première impression indique un équilibre assez précaire, mais bout d'un moment, après avoir déterminé les limites de l'esquif, on se rend compte que la liberté de mouvement est largement suffisante pour se déplacer à grands coups de brasses ! Après quelques bassins, on acquiert même une bonne dextérité, autorisant quelques prouesses à faire pâlir ceux qui payent pour se faire plaisir dans les aquaparcs ! Pour le transport du kit, nous avons d'abord pensé le garder sur le dos, mais ce dernier reposant sur le rebord du boudin nous oblige à conserver le corps en avant, ce qui devient rapidement déplaisant. Finalement, le mieux est encore de le poser sur soi, une fois installé confortablement dans ce fauteuil gonflable !
Avec Joël nous sommes très enchantés par nos embarcations de fortune, l'accostage en est même facilité par rapport au bateau, puisqu'il suffit de pencher le corps en avant pour prendre pied sur une rive ou une paroi.

Dans la galerie "Viviane - Dame des lacs" nous arrivons rapidement au débouché de la rivière Lanceleau, sortant d'un méandre d'environ 1 x 2 mètres. Pour Joël qui ne connaît pas l'endroit, la vision de cette rivière d'un demi mètre cube à la seconde recoupant transversalement la surface de notre lac, doit certainement faire le même effet que lorsque nous l'avons découvert. L'impression assez grandiose et inhabituelle, elle apporte surtout de la palpitation dans cette ambiance calme et détendue propre à la navigation souterraine.
Je propose à Joël de se faire un petit plaisir, en remontant une partie de cette rivière reconnue seulement sur une cinquantaine de mètres. L'accès au méandre n'est déjà pas chose aisée, il faut débarquer en s'accrochant à la paroi longeant un lac profond, au bord des remous ne donnant pas vraiment envie d'y boire la tasse…

Une fois dans la méandre, il faut s'imaginer ce que cela peut donner de remonter un courant de 500 litres à la seconde, de surcroît dans une galerie de petites dimensions. C'est la troisième fois que je parcours cet endroit, et je me pose à chaque fois la question de savoir comment une si grosse rivière a pu creuser qu'une si petite galerie. Sans être spécialiste en la matière, je pense qu'un accident géologique ou tectonique relativement récent a déplacé le cours de l'eau, qui s'engage dorénavant dans ce petit conduit annexe. L'exploration plus avant de cette galerie nous en apprendra peut-être un peu plus, ça c'est la musique d'avenir d'une équipe chaudement équipée avec un mental 100% étanche !...

Après une quarantaine de mètres, nous abandonnons notre lutte contre le courant, sans même avoir atteint le terme actuel de la topographie. Joël a les pieds glacés, mais il s'est quand même fait une idée plus précise de cette fameuse rivière Lanceleau, qui risque d'occuper ses rêves de découverte pendant quelques temps…

De retour à la galerie Viviane nous poursuivons notre navigation. Arrive bientôt le 6ème et dernier lac, avant le terme actuel de ce secteur, au niveau d'une salle supérieure appelée Baudegamu. Ce lieu est également le but final de la journée, où je désire équiper d'une échelle l'accès à la salle. Cette remontée de 7 à 8 mètres permet d'éviter une zone aquatique peu agréable, où l'utilisation d'un bateau ou d'une chambre à air n'est pas envisageable. Par ailleurs, cette salle magnifiquement concrétionnée semble bien à l'abri des crues, nous avons donc prévu d'y déposer un peu de matériel d'équipement et de topographie. En exploration, il faut toujours prévoir un peu de matériel en surplus, pour un obstacle éventuel. Nous disposons ainsi d'un endroit où déposer quelques affaires, que l'on déplace également à mesure de notre éloignement.

Notre échelle est maintenant posée, nous avons en outre posé une main-courante permettant d'y accéder. Un petit saut au terminus actuel de l'exploration permet à Joël de savoir à quoi s'attendre, il s'agit d'une nouvelle zone de lacs dans le même ordre d'idée que celle qui nous a amené jusqu'ici.

Pour l'heure actuelle que nous ignorons… nous pensons qu'il est temps d'entamer le chemin du retour. La remontée sera alternée par de fréquents arrêts photos, histoire d'enjoliver le journal GEF, voire peut-être même quelques clichés pour notre future conférence.

Arrivés à la sortie du gouffre, Bertrand est là pour nous accueillir. ll était 17h00 pile quand Joël pointa la tête hors du trou, ce qui prouve que la force de l'horlogerie suisse se retrouve même jusque dans l'âme de ses autochtones !!!...

Cet après-midi, Bertrand a passé plus de 2 heures à enlever la clôture métallique ceinturant l'entrée du gouffre, pourtant soigneusement mise en place 3 mois plus tôt !
Avec nos récents travaux de désobstruction, celui qui viendrait à tomber dans le gouffre a probablement peu de chances de s'en tirer, nous avons dans ce sens jugé opportun de placer une protection autour du trou, bien que l'endroit soit extrêmement peu fréquenté puisque sis au milieu d'une forêt escarpée. Pourtant, à peine un mois après avoir posé la barrière, le garde forestier cantonal était au courant de la situation, et nous a ensuite contacté pour nous ordonner d'enlever la clôture, et ce avant la fin de l'année.

D'après quelques textes de loi sortit d'on ne sait où, il s'avère qu'une personne venant à tomber dans un gouffre sans protection, doit en assumer l'entière des responsabilités ; c'est grossièrement dans le sens que chacun doit regarder où il met les pieds ! En revanche, si une protection a été mise en place et que celle-ci n'est pas suffisante ou alors plus en état, c'est celui qui l'aura posé qui va assumer les responsabilités ! C'est vraiment un comble, mais ce genre de revers nous montre bien que les lois et règlements ne sont pas toujours rédigés en dépit du bon sens !

Avec 7 heures 30 passées au royaume des Fées, cette journée sympathique nous a permis de joindre l'utile à l'agréable, elle a également permis de nous rendre compte que même avec un accès au milieu du réseau, la suite de l'exploration va tout de même nécessiter des sorties de longue durée.

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