Le signal sera capté par l'équipe de surface, composée de Rémy Wenger pour l'ISSKA, Jacques, Philippe et sa fille Murielle. 2 mesures sont prévues dans la journée. D'abord dans la galerie des Géants à 1200 mètres de l'entrée, puis dans la salle du Col, à 3200 mètres.

La journée s'annonce relativement longue pour l'équipe souterraine, c'est pourquoi, à 07h00 déjà, nous nous retrouvons tous sur le parking des Fées. Après les dernières recommandations pour l'assemblage de l'antenne, nous répartissons le matériel de nos sacs. En plus de l'émetteur, nous emportons une radio Nicola pour converser avec la surface, une corde dynamique, le matériel d'escalade et d'équipement, de la nourriture et des boissons, ce qui représente un bon kit par personne.

Peu avant 10 heures, nous arrivons à destination pour la première mesure. Bertrand et Joël sont bien dégoulinants de sueur, il est vrai que le rythme de progression était quelque peu soutenu. La faute bien sûr au planning horaire convenu avec l'équipe de surface, mais bon, faut pas leur en vouloir... c'est votre serviteur qui l'a établi !!!…

Pendant que Bertrand déploie l'antenne du Nicola, Joël et Pierre assemblent celle du U-GPS. Il faut savoir que les 2 systèmes que nous utilisons aujourd'hui sont totalement indépendants et n'entrent pas en interférence. Concernant le Nicola, c'est un gros avantage de pouvoir converser entre les équipes, afin de synchroniser le temps d'émission et de réception des balises.

Il est tout juste 10 heures lorsque Bertrand établi la liaison avec la surface. C'est magique… ceux qui ne connaissant pas le Nicola sont vraiment surpris d'entendre avec quelle qualité nous pouvons discuter à travers le rocher. Sur le principe d'un courant électrique à basse fréquence qui se transmet à travers la roche, le système est surtout connu des secouristes spéléo, qui l'utilisent depuis une dizaine d'années.

Bientôt, nous mettons l'antenne U-GPS en fonction. Dans un premier temps, l'équipe surface ne détecte aucun signal. Puis, après avoir déplacé l'émetteur de quelques mètres et vérifié tous les contacts, cela fonctionne... C'est bizarre ce truc, mais peut-être bien que le problème venait de la surface !

C'est maintenant au tour de l'équipe extérieure de bosser un peu, afin de localiser précisément l'aplomb de notre signal. Pendant ce temps, nous profitons de rassasier nos estomacs. Vers 10h45, la position de notre balise est située. Par rapport au plan du réseau, l'erreur est de seulement 2 mètres en distance, ce qui représente le 0,15% du trajet depuis l'entrée. C'est assez prodigieux en pensant aux moyens topographiques que nous utilisons, et c'est tout à l'honneur de ceux qui ont fait le boulot ! Pour la distance verticale entre notre antenne et la surface, l'appareil indique une quinzaine de mètres de différence avec notre plan. Toutefois, selon Rémy, il est probable que le signal soit faussé par la nature de certaines couches traversées, notamment les roches marneuses.

Nous avons pris un peu de retard sur le planning, nous décidons de décaler le prochain point de contact d'une demie heure, à savoir 14 heures. Cela nous laisse un peu plus de 3 heures pour rejoindre la Salle du Col, située à 2 kilomètres d'ici.

Arrivés à la carrière Egyptienne, une zone assez particulière avec des blocs effondrés, l'étroiture a raison du gabarit de Bertrand, cela ne passe plus ! Heureusement, un autre passage lui permet de contourner l'obstacle, donc pour lui ce n'est pas fini, l'aventure continue… C'est la première fois qu'il s'engage aussi loin dans le réseau, et tout comme nous la première fois, il est impressionné par cette succession de salles et de galeries imposantes. Pourtant, il les connaît à sa façon, car peu avant d'arriver à la salle du Dôme c'est lui-même qui va nous annoncer que l'on arrive dans ladite salle !... Avec Joël nous sommes sciés… nous avons vraiment le sentiment qu'il a dû apprendre par cœur le plan de la grotte ?…

Nous arrivons au lieu du bivouac, ce qui nous permet de tomber nos combis étanches qui commencent à nous chauffer sérieusement ! Le temps de manger quelques bricoles puis nous repartons. Nous sommes quand même tenus par les horaires du prochain contact radio, il vaut mieux arriver en avance plutôt que le contraire.

Vers 13h30, c'est l'arrivée dans la salle du Col, l'emplacement de la seconde mesure. Nous avons choisi ce lieu car il s'agit d'un point assez élevé dans le réseau, où l'épaisseur de la roche jusqu'en surface est relativement faible, environ 120 mètres. C'était un critère déterminant lors du choix de l'endroit, au-delà de cette distance nous entrons dans les limites de l'U-GPS, où la précision des mesures devient aléatoire.

Lors de la découverte de cette salle, j'avais relevé l'existence d'une grande coulée de calcite, au dessus de laquelle s'échappe une imposante galerie remontante. L'idée est donc d'atteindre cet endroit aujourd'hui, pour ainsi poser l'antenne le plus haut possible. C'est pour cette raison que nous sommes passablement chargés, nous avons emporté tout l'attirail d'escalade. Au pire, en cas d'échec de notre ascension, nous nous contenterons de poser l'antenne sur le col, l'endroit où nous sommes actuellement.
Pour l'heure, nous avons 30 minutes d'avance sur le planning, cela tombe parfaitement bien pour se faire une petite grimpette…

Après m'être équipé, je m'élance dans la coulée. La calcite n'est pas 100% compacte, certains morceaux se détachent même facilement. A 3 mètres du sol, un léger bombement me permet de me stabiliser où, plaqué contre les concrétions, je pose le premier spit qui servira de point d'assurage pour la suite des opérations. A partir de maintenant, Joël peut m'assurer.

Sous terre, ce type d'escalade n'est en rien comparable en rapport à ce qui se fait en falaise, au soleil ! Il faut donc s'imaginer dans le contexte souterrain, avec une combi PVC comme tenue légère, des bottes en guise de chaussons d'escalade, et tout cela sur une roche humide, avec en prime le vide qui se déroule sous nos pieds dans les tréfonds rocheux du fond de la salle. Bref, on apprécie instamment le petit brin de corde dynamique qui nous relie à la paroi, par l'intermédiaire de quelques amarrages dans la calcite, qui peut-être nous retiendront lors du grand saut !... Pour l'anecdote, pour se mettre dans l'ambiance Joël commença par me demander si j'ai confiance en ma corde ?... Je lui ai répondu que oui, tout en sachant pertinemment que j'avais quelques doutes… celle-ci avait déjà quelques années au compteur…

Peu au-dessus et légèrement décalé, j'ai repéré une petite margelle où je pourrai à nouveau me stabiliser. Je n'ai pas très confiance dans l'unique prise de main qui est à ma portée, c'est pourquoi il faudrait que je puisse au moins avoir de l'assise pour un pied. Puisque la paroi est lisse, je vais utiliser mon crochet "goutte d'eau", sorte de griffe en acier reliée à une grande sangle qui va me servir d'étrier. J'accroche l'outil dans un petit creux de calcite, et sans me délonger je teste sa solidité : Crac !...

Ah ben… pas bon le rocher !!! Je teste une seconde anfractuosité, celle-ci a l'air de tenir. Je préviens Joël de rester vigilant et m'élance vers le replat convoité, que j'atteins sans encombres. Je suis maintenant soulagé, pour moi le plus dur est fait. Je pose un second spit puisqu'il n'y aucun trou ou fissure pour placer des pitons. Ici, le décor est grandiose, je domine toute la salle du Col. Au loin, j'entends Bertrand qui baragouine dans sa radio, j'imagine qu'il doit leur expliquer tous les détails de notre escalade. De mon côté j'ai juste encore un petit cran vertical à franchir, la fin de l'escalade s'annonce déjà comme une partie de plaisir, une sorte de grand talus rocheux encombrés de cailloux.

Peu de temps après, je termine mon ascension. Je pose encore de nouveaux amarrages afin d'y fixer la corde que nous laisserons en place. Je suis vraiment haut placé, je pense m'être élevé d'une trentaine de mètre de dénivellation depuis le col, et peut-être une cinquantaine de mètres en distance. Joël me rejoint rapidement et nous installons l'antenne du U-GPS sur un grand cône d'éboulis. Nous avons une demi-heure devant nous, le temps à l'équipe en surface de jouer la seconde mi-temps...

Cela nous laisse de quoi inspecter les lieux, et également pour nous écarter un peu de l'antenne. Car en effet, si celle-ci doit émettre un signal relativement puissant pour être capté à travers la roche, avec Joël nous nous sommes dits que ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux que de se faire bêtement "irradier" en restant plantés là ! De toute façon, nous avons une autre petite idée en tête qui nous nargue depuis quelques minutes…

Belle, gracieuse et immaculée... ce n'est pas la présence d'une fée comme d'aucuns pourraient se l'imaginer, en revanche pour nous deux cela produit pour ainsi dire le même effet puisqu'il s'agit d'une galerie qui s'échappe à une vingtaine de mètres d'ici !!!...

En nous approchant de l'orée de ce nouveau conduit, nous sommes immédiatement attirés par le concrétionnement fin et délicat d'une des parois. Nous nous autorisons à peine une dizaine de mètres de parcours, en constatant que la galerie redescend gentiment. A vue de nez elle doit faire 6 à 8 mètres de large pour 4 à 5 mètres de haut. De quoi affoler notre imagination en attendant le jour où nous viendrons traîner nos bottes par ici…

Bientôt, Bertrand apprend par radio que la balise est localisée. La mesure indique une différence de coordonnée de 20 mètres par rapport au plan du réseau. Cela représente 0,8% de la distance qui nous sépare de l'entrée, soit 3120 mètres. La distance verticale indique 107 mètres, donc 2 mètres de différence par rapport à notre topographie. Nous sommes enchantés, tout comme la mesure de ce matin, la seconde vient confirmer l'exactitude de notre plan, ce qui sous-entend que depuis 4 ans nous fournissons un excellent travail de précision, et ce malgré les difficultés toujours plus grandissantes.

Nous pouvons maintenant plier notre matériel et entamer le chemin du retour. Bertrand tient toujours la grande forme, c'est parfait. Dans la galerie des Errants, au sortir d'une étroiture Bertrand a quelques difficultés. Rien de bien grave, néanmoins il nous semble que la fatigue commence à le gagner. Au bivouac, nous profitons pour nous restaurer et enfiler nos combis étanches afin de franchir les passages aquatiques qui nous attendent.

Petit à petit le rythme ralentit, cette fois Bertrand commence sérieusement à fatiguer. Avec Joël nous pouvons bien le comprendre, il fait de la spéléo depuis à peine 8 mois, et cela à passé 50 ans…

La rivière Blizzard représentera pour lui une descente aux limbes, il n'en peut plus de traîner son kit dans ce méandre sans fin. Cela se passera un peu mieux dans les galeries qui suivent, peut-être est-ce le fait qu'il avance maintenant en tête de convoi, menant ainsi la cadence. Cependant, notre ami Bertrand a vraiment triste mine. Le visage tout boursouflé, la combinaison déchirée, il ressemble plus à un zombie plutôt qu'un spéléologue au royaume des fées…

Bientôt, la porte se présente, c'est la fin des souffrances qu'il ne sera assurément pas prêt d'oublier. Il l'a finalement reconnu, il a effectivement dépassé ses propres limites depuis un moment. Heureusement pour lui… et pour nous… il a su puiser dans quelques réserves pour se sortir de cette impasse.

Son expérience comme quelques autres survenues dans cette même grotte nous prouve une fois de plus que ce réseau, malgré ses attributs simplistes et notamment son profil pratiquement horizontal, est en réalité une cavité à double tranchant. La raison est pourtant simple à comprendre :

Le premier kilomètre, avec ses zones d'étroitures, de ramping, de quatre pattes et de méandres, est de loin le plus physique. Mais puisque qu'il s'agit de la zone d'entrée, les gens sont généralement bien disposés. Viennent ensuite les grandes galeries et les salles où l'on avale les kilomètres sans vraiment s'en rendre compte. Les gens sont bien, les merveilles qu'ils parcourent surclassent amplement l'effort qu'ils fournissent. Pourtant, petit à petit la résistance physique atteint la limite du bien-être. Derrière, c'est le versant de la fatigue qui prend gentiment ses aises. Cette situation se manifeste généralement sur le chemin du retour, et les ramènent à la vraie vérité dont ils prennent enfin conscience : ils ont déjà parcouru de nombreux kilomètres et il en reste encore passablement à parcourir. Mais à ce moment, c'est déjà trop tard. Ce que la plupart des gens ne se doutent encore pas, c'est qu'ils ont beau se dire que pour sortir ils avanceront gentiment pour s'économiser au mieux, il restera encore et toujours ce fameux dernier kilomètre, le même qui les avait passablement entamé au début de la journée, à la grande différence qu'à ce moment ils étaient encore frais et dispos…

Le schéma que je viens de développer, je l'ai pourtant expliqué à Bertrand la veille au soir et ce matin même en arrivant au bivouac. Pourtant, cela ne l'a pas fait changer d'avis pour autant, ce que je peux comprendre puisque qu'il est difficile d'imaginer un état de fatigue au moment où l'on se sent bien. La moralité de cette sortie m'amène à cette citation adaptée de la sagesse chinoise :

N'attends pas d'avoir soif avant de boire l'eau de la grotte !