Le travail au niveau de portique extérieur n'est pas du tout contraignant, en revanche il demande de l'attention dans le synchronisme des mouvements entre les gens. En effet, dès que le tonneau arrive à destination chargé de près de 80 kilos de déblais, il y a un petit instant mort, le temps d'enlever les bloqueurs de la corde de traction et d'assurage. La charge se situe à cet endroit au niveau du treuil, elle est ensuite déplacée manuellement sur quelques mètres jusqu'au terminus du rail. Donc une confusion ou inadvertance serait critique, la charge repartirait alors dans le puits, avec les conséquences que l'on peut imaginer pour ceux qui travaillent en dessous.

Pour commencer cette belle journée placée une fois de plus sous le signe du soleil, avec Bertrand nous attaquons le remplissage du tonneau au bas du puits. Contrairement aux dernières journées, les sédiments que nous remplissons sont peu salissants, ce qui est fort appréciable. Cela est dû au temps qui est sec depuis une bonne quinzaine. En revanche les gros blocs se font toujours plus présents, ce qui nous oblige à jouer tout autant de la masse et de la barre à mine. Cette dernière ne nous donne d'ailleurs plus satisfaction, la pointe en acier trempé n'est plus qu'un vague souvenir…

Depuis un moment, Bertrand est affairé dans un petit recoin sur lequel il insiste particulièrement... En prenant la relève, je commence enfin à comprendre ; il a mis à jour un vide qui se prolonge sur plus d'un mètre, avec au fond une lame de rocher qui cache quelque chose… Le courant d'air nous indiquant clairement le chemin à suivre, je décide alors d'y plonger histoire de voir la chose de plus près. Malheureusement, derrière la lame les blocs viennent buter contre la paroi. C'est dommage, pendant un instant j'ai bien cru que le graal était à portée de main…
Bertrand m'aide alors à me sortir de cette fâcheuse position, et les travaux reprennent. Ces gros rochers nous font perdre beaucoup de temps et de sueur, il faut souvent les diminuer pour qu'ils puissent entrer dans le tonneau, qui fait pourtant quarante centimètres de diamètre.

Depuis une demie heure, nous sommes embêtés par un bloc plus conséquent, en forme de menhir. D'habitude il nous suffit de couper le morceau en deux, cette fois il faudra faire avec quatre parts !
L'évacuation de ce dernier dictera la fin des travaux du matin, il est 13 heures et nos estomacs commencent à crier famine ! Nous nous proposons de donner enfin un nom à ce puits d'entrée, ce sera le Puits Cayenne, avec une petite pensée au célèbre bagne de Guyane où les forçats passaient leur temps à casser des cailloux... En sortant du trou, les copains nous annoncent que nous avons quand même bien travaillé, 25 tonneaux ont été extraits du gouffre, soit près de 2 tonnes.

L'après-midi, c'est au tour de Christian et Joël de prendre le relais en bas. L'équipe du matin s'est occupée à enlever les blocs sur les deux tiers de la surface du sol, la nouvelle équipe s'attaque donc au dernier tiers. 2 tonneaux plus tard… c'est en donnant un coup de barre à mine dans l'éboulis que nos deux nouveaux forçats s'arrêtent brusquement ; ils ont entendu des cailloux rebondir au-dessous… …

-Que se passe-t-il ?...

A plusieurs reprises, par amusement nous avons évoqué la possibilité d'un bouchon intermédiaire, avec le vide qui se poursuit… Peut-être que notre boutade est en passe de devenir réalité ? Une chose est sûre, pour eux en ces instants précieux, leur appréhension n'a sûrement d'égal que leur motivation de poursuivre.
Ils décident néanmoins de s'assurer à l'aide d'une corde. Rapidement, Joël dégage un orifice gros comme une tête, situé le long de la paroi presque à l'aplomb du rail. Dessous, il devine un ressaut vertical de 2 à 3 mètres, mais les cailloux jetés poursuivent leur chemin dans un autre puits, qui s'avère plus conséquent…
Ce coup-ci… il semble bien que nous avons enfin réussir à dépasser ce fichu bouchon, 2 ans après le début des travaux de désobstruction. Toutefois, il est peut-être préférable de garder encore un moment les pieds sur terre… avant de crier victoire sans être vraiment certain de ce qui nous attend !

Pour l'heure, il y a encore pas mal de travail pour agrandir le passage et stabiliser correctement la zone. La bonne nouvelle est transmise à l'équipe de surface, elle est pourtant accueillie avec beaucoup de réserve… Il faut dire que quand l'on s'acharne depuis 2 ans et que l'on nous annonce d'un seul coup que nous avons enfin réussi, c'est presque un peu trop direct pour vraiment prendre conscience de ce qui nous arrive ! Ceci est d'autant plus vrai quand l'on apprend une information par voie orale, sans pouvoir le constater de visu.

La valse des tonneaux reprend, comme si rien ne s'était passé. 13 voyages plus tard, vers 15h45, le bas du puits est stabilisé. Il y a encore beaucoup d'éboulis sur les côtés, mais c'est suffisant pour ne pas prendre de risque si l'on décide d'aller voir plus bas.
En se criant à tue-tête entre l'entrée et le fond, les 2 équipes font le point sur la situation. D'un côté, nous pensons qu'il serait judicieux d'enlever tous les cailloux qui encombrent encore les bas côtés, et d'un autre nous nous disons qu'il serait plus simple de tout faire descendre plus bas, puisque le vide en dessous s'annonce conséquent. Cette seconde alternative serait bien sûr plus rapide et surtout moins fastidieuse, néanmoins, si un autre rétrécissement se présente en dessous, c'est peut-être d'autres difficultés encore plus importantes qui nous attendent. Donc dans le doute, nous pensons qu'il est préférable d'opérer une petite reconnaissance, et ainsi prendre la bonne décision. C'est d'autant plus évident en sachant que le puits n'est pas bien haut, moins d'une dizaine de mètres d'après les sondages au jet de pierre. Joël et Christian n'ayant pas bougé de leur perchoir, c'est Joël qui se propose de partir en éclaireur ! Ne disposant pas de matériel pour poser de nouveaux amarrages, la corde est alors accrochée sur la dernière fixation du rail, aucun souci pour la solidité !

Une petite verticale de 3 mètres est franchie, avec un passage rétréci entre la paroi et un gros bloc recouvert de calcite, certainement un morceau de paroi qui s'est détaché au-dessus. A première vue, cette masse inquiète de par sa stabilité, mais finalement elle possède une bonne assise. En débouchant dans la verticale suivante, les choses prennent agréablement de l'ampleur, c'est même franchement plus grand que la section du puits d'entrée, déjà de taille très respectable.

Après une descente de 7 à 8 mètres, Joël atterrit sur un sol plat et légèrement argileux. Devant lui, une grande lame de calcite semble cacher un prolongement horizontal, mais ce n'est que la base d'une petite cheminée parallèle au petit puits par lequel il est arrivé.
Sur le côté droit, démarre une pente de calcite qui s'éloigne en se rétrécissant, elle-même recouverte d'une petite couche d'argile. Au bas de ce delta rocheux, ne subsiste alors qu'un petit orifice gros comme un casque, marquant le départ d'un nouveau puits, plus d'une quinzaine de mètres d'après les sondages. Le courant d'air passe également par là, donc tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !...
Tous ces événements nous réjouissent fortement, et malgré l'étroiture qu'il faudra miner, nous savons que la cavité se poursuit de plus belle, avec à la clé la jonction tant espérée avec les Réseau des Fées. Mais nous n'en sommes encore pas là, laissons un peu de temps au temps...

Pour ce qui est de l'éboulis au bas du puits d'entrée, nous avons maintenant la réponse à notre question, à savoir qu'il vaut mieux ressortir ce qu'il reste des cailloux. Avec Patrick, je descends voir la nouvelle partie, afin de se faire une idée plus précise de ce que Joël nous a expliqué. Ensuite, nous prenons le relais dans le remplissage des tonneaux.


Soudain, après seulement 2 déplacements, le tonneau plein s'arrête brusquement à 2 mètres du fond. Pour l'équipe qui s'active droit dessous, il s'agit d'un simple arrêt du treuil, ce qui arrive de temps à autre. Pourtant, ils apprendront rapidement que le problème est de tout autre nature, c'est l'axe du tambour du treuil qui est sortit de son emplacement !!! Les conséquences auraient pu être catastrophiques, mais heureusement notre installation a bien été étudiée. En effet, celle-ci comporte des sécurités à plusieurs niveaux, notamment un bloqueur sur la corde de traction et un autre sur la corde d'assurage. Donc au moment où le tambour s'est décroché, les bloqueurs ont simplement rempli leur mission, tout en douceur... Cet imprévu nous montre que malgré toute notre bonne volonté, nous ne sommes jamais à l'abri d'un incident mécanique, donc il faut toujours prévoir le pire à la conception de genre de construction, de surcroît pour des chargements de près de 80 kilos.

Notre installation étant hors service, nous ne pouvons plus rien faire pour aujourd'hui. Pour la suite des opérations, il faudra réparer le treuil et revenir pour une petite journée de travail afin de terminer le nettoyage du puits Cayenne.

En y réfléchissant, cet imprévu n'est pas si grave, il suffit de penser à ce qui nous attend prochainement, de quoi parcourir monts et merveilles sur le chemin de notre fertile imagination…