Alors qu'il y a tout juste un an nous transpirions comme en plein été sous le chaud soleil de la Vallée de Joux… c'est dire si les années se suivent mais ne se ressemblent pas ! Il est agréable par cette cramine de bien s'habiller y compris la combi étanche, avant d'aller affronter nos Follatons, tant choyés depuis le printemps de cette année !

Parvenu au bord du trou, il est 09h45 quand le trio s'engage pour une descente rapide de la suite de puits bien ressuyés après la trombe d'eau subie deux semaines auparavant ! Et c'est dans la salle de la Cathédrale, bien plus calme, que l'on se retrouve pour la suite des hostilités. Ici, le Millepattes prend les devants afin de rejoindre directement la rivière Changelin, dans le but d'agrandir le passage du Mouille-cravate qui en a rebuté plus d'un la dernière fois ! Pendant ce temps, Patrick et Pierre prennent en charge la topo restée en panne depuis le méandre Blanche Glaise, afin de rallier le point de jonction avec le méandre Pinpin.

Pierre doit peut-être se poser la question : Le Millepattes va-t-il faire ce que l'ont attend de lui ou est-ce qu'il ira encore faire le "touriste" dans quelques galeries encore inexplorées ?! Que nenni ! L'excitation de la jonction c'est maintenant du passé, et c'est uniquement dans le but d'accomplir sa besogne que ce dernier abandonne ses collègues pour s'embarquer gaillardement dans le Puits de la Peur, qui ne l'effraie pas plus que ça depuis qu'il l'a assimilé !

Parvenu au bas de ce dernier puits, je me débarrasse du baudrier et de tous les accessoires qui ne sont plus nécessaires dès cet endroit. J'embarque au passage le burin et la massette qui pourront m'être utile plus bas.
Les pieds en avant afin d'assurer la réception plus bas, tout en remorquant mon kit à la suite, je m'insinue dans la "Boîte aux lettres", l'étroit passage récemment dégagé dans l'éboulis. Passé l'étroiture, plus qu'à se laisser glisser gentiment au fond de cette sorte de petit canyon et de rallier la corde à noeuds installée au second ressaut de 4 mètres.

Arrivé à pied d'oeuvre, je constate que la rivière Changelin n'est plus qu'un ruisselet minable comparé à la dernière fois ! Donc pour l'option de diluer toute la glaise dans le ruisseau et tout balancer via la perte, et bien c'est râpé… il va falloir terrasser !
Je laisse mon kit dans la petite salle et me laisse glisser dans le passage bas avec seulement la pelle pliante, la massette et le burin dans les mains et avanti ! Le Mouille-Cravate étant passé, je dépose mes outils dans une petite niche et commence par aller vérifier le bon fonctionnement de la perte 20 mètres plus loin, afin d'être sûr que mes travaux ne vont pas l'obstruer ; ce qui compromettrait sérieusement le succès de l'opération. En revenant, je commence par marquer une rigole dans l'argile afin d'abaisser le niveau d'un bassin gênant au passage d'un coude de la galerie à 90 degrés. En effet, ce bassin de boue liquide est juste assez profond pour se remplir les bottes, et là, c'est le cas de le dire, c'est pas le pied !!!

En amont du dit bassin, je commence par creuser un sillon à ras la paroi afin de collecter l'eau du ruisseau et de pouvoir abaisser le lit en travaillant à peu près au sec... Mais où stocker toutes ces alluvions visqueuses voire semi liquides ? C'est alors que je déniche un "élargissement sur joint" au bas de la paroi où je balance violemment mes paquets de glaise qui, sous la violence de l'impact, se collent bien au fond tel un véritable mortier et reste ainsi sagement en place sans rafer ! Bon, je ne garantis pas la résistante du mortier sous la prochaine crue, mais pour le moment cela semble pas mal se comporter !
Le système fonctionne sur deux bons mètres puis, plus de place pour fourguer les colis !

De plus, le chantier devenant tellement dégueu qu'il ne reste que de la boue liquide, alors autant laisser les Changelins emporter le reste dans la perte, car c'est tellement fluide que cela ne risque plus d'obstruer quoi que ce soit plus bas !
Dans l'intervalle, je tente de m'occuper du plafond, me souvenant depuis la dernière visite qu'une strate était visible à environ 20 cm au-dessus du point bas du passage. Je me dit que si je parvenais à planter le burin dans cette fissure bien horizontale, je parviendrai peut-être à abattre la couche inférieure et de faire d'une pierre deux coups : Soit gagner 20 cm en hauteur et disposer de matériaux solides pour combler ce satané bassin de boue dans le prochain virage !

Mais entre l'espoir et la réalité il faut souvent déchanter, surtout en spéléo ! En effet, j'ai eu beau taper comme un diable sur ce burin, rien à faire ! Strate il y avait, mais ce n'était en tout cas pas de l'argile… du bon ciment made in les Fées ! En tout cas ce morceau n'est pas prêt de nous tomber sur la tête ! Seules une ou deux charges bien placées en viendrait à bout, mais bon, à ce moment là, il y a d'autres passages plus en amont qui mériteraient aussi une bonne "branlée"…

Je me contente donc de nettoyer autant que faire se peut le lit du ruisseau, tout en canalisant celui-ci dans une rigole. Le passage se trouve déjà bien amélioré, quoique encore salissant ; tout du moins jusqu'à la prochaine crue qui se chargera de faire le ménage... Allez les Follatons : à vos seaux et panosses !...

Après deux heures à plat de ventre dans ce bourbier, le Millepattes ne voyant pas apparaître ses deux collègues décide de remonter jusqu'au Puits de la Peur. Là, il les retrouvent bien tranquillement en train de se sustenter ! Alors comme ma bouffe est à l'étage en dessous, plus qu'à redescendre et faire de même dans ma kitchenette improvisée !

Tout en finissant ce calage d'estomac, je les entends enfin approcher en échangeant les données topo. Puis, nous nous retrouvons dans la petite chambre au départ de la rivière Changelin.



- C'est rudement sale chez toi ! s'exclame Pierre en atterrissant au fond de cette chambre transformée en bourbier à force d'allées et venues…

Mais en se penchant pour voir le passage du Mouille-cravate, il est d'accord que le Millepattes a quand même bien bossé ce matin !



Puis, le Millepattes étant déjà bien "emmerdolé", il est désigné volontaire pour aller s'enfiler dans la partie amont de la rivière Changelin, afin de prendre quelques mesures pour compléter la topo de l'endroit.



En effet, après un coude à 45 degrés, le méandre s'ouvre au bas d'une cheminée de 7 à 8 mètres par où l'eau chute depuis le fond de la trémie de la salle de la Cathédrale. Un autre petit méandre s'échappe le long d'une fissure, mais cela se présente bien étroit et aquatique !

A partir d'ici, nous travaillons à trois pour la topo de la galerie du Graal, car des visées il y en aura à foison vu la sinuosité de l'endroit !
Le Millepattes part en tête avec un kit plein à ras bord de matos, pitance et thé chaud pour les 4 heures ! Au fil de la progression, la petite équipe s'organise. Le Millepattes étant juste occupé à charrier le kit plus en avant, il retourne vers Pierre afin de voir si il peut-être utile à quelque chose ?
Là, Pierre lui remet des pastilles réfléchissantes pour marquer les points de visées en lui recommandant de choisir des endroits optimums afin d'assurer les visées sans obstacle en avant et en arrière !

Il n'en faut pas plus pour remotiver le Millepattes qui commençait à trouver le temps long ! Dans cette galerie qui n'arrête pas de zigzaguer et de changer de morphologie à tout bout de champs, il faut un point de visée quasiment tout les 3 à 5 mètres afin d'assurer la continuité du parcours. Ainsi, le Millepattes est bien occupé à avancer le kit et revenir récupérer les pastilles pour les disposer plus loin en les accrochant à une aspérité.

Pierre mesure chaque distance au lasermètre et dessine la configuration, tandis que Patrick effectue les visées à la boussole et au clisimètre. C'est vrai que lorsque l'on n'a jamais pratiqué de la topographie, il est difficile de s'imaginer le boulot que cela représente, de même la précision que cela demande si au bout de X kilomètres on veut être au plus juste dans le positionnement de toutes ces galeries ! Et vu le résultat du contrôle U-GPS du 28 juin dernier avec le positionnement des Fées et Follatons sur le terrain, on ne peut que féliciter nos topographes qui n'ont rien à envier aux géomètres professionnels !

Bien quelques heures s'écoulent à répéter ce petit scénario, quand le Millepattes parvient enfin à la bifurcation où la galerie du Graal se sépare avec un méandre tortueux qui va en direction du méandre Pinpin. Cette galerie est juste marquée par un premier point topo, et restera inconnue pour le moment ! En effet, même le Millepattes est resté sage et n'a pas essayé de s'y échapper !

Ensuite, le Millepattes installe trois points de visée puis, après tant d'heures à quatre pattes ou assis dans la boue froide et sachant que le méandre Pinpin étant tout proche, il part en avant afin de soulager une envie devenant pressante comme il n'y a aucun autre endroit pour se tenir debout dans le secteur.

C'est alors que retentit une "braillée" incompréhensible dans le dédale des galeries de l'endroit ! Pour sûr, Pierre a dû croire que le Millepattes, attiré par la découverte, a de nouveau fait le coup de détaler comme un lapin afin de s'en mettre plein les yeux pendant que les autres bossent derrière…
En fait, non !… Pierre voulait savoir où se trouve le point topo marqué en rouge, qui devait normalement indiquer la dernière visée connue depuis le réseau des Fées. Aucune marque rouge n'étant repérée, c'est en retournant dans la galerie que je croise Pierre qui trotte plein gaz dans ma direction, pour les mêmes raisons totalement naturelles !

Encore quelques instants pour achever la topo des lieux, puis une pause thé chaud et 4 heures arrive la bienvenue ; un gros bloc fait office de table improvisée et nous partageons de quoi nous requinquer avant la partie récréative. En effet, Pierre nous propose une visite de la galerie des Epées toute proche, et c'est volontiers que nous prenons sa suite dans l'aval du méandre Pinpin.
Nous débouchons ainsi au détour d'un méandre de bonne taille dans une galerie vaste et spacieuse dont l'amont est occupé par un lac profond, dont les reflets sous l'éclairage de nos lampes sont de toute beauté. L'aval se présente sous la forme d'un impressionnant plancher déchiqueté par l'érosion du sable et de l'eau, une foison de marmites se rejoignant toutes, ce qui fait que leurs parois sont devenues si minces que l'on dirait des lames d'épée dressées à la verticale sur plus d'un mètre de hauteur, et menaçantes au possible ! Une chute à cet endroit, on n'ose pas l'imaginer ! Dans de tels lieux, soit on se déplace, soit on admire le décor ; mais surtout pas les deux à la fois !...

Ces sculptures sont si fines et élancées que le moindre choc d'un galet les fait résonner comme de la porcelaine ou du cristal ! C'est la vaisselle des Fées… et en plus elle est propre ! En effet, pas la moindre trace de boue dans cette galerie, cela change avec la galerie que l'on doit emprunter pour accéder en ces lieus divins ! Mais c'est le prix à payer pour accéder à de telles merveilles, et c'est sûrement mieux comme cela !
Car si un boulevard en permettait l'accès, et bien croyez moi, il n'en resterait rien, tout comme les anciennes galeries des Fées avant la porte, qui ressemblent plus à une carrière qu'à une cavité naturelle, vu la disparition de la totalité des concrétions après le passage de maintes générations de vandales en tous genres. C'est ce que nous voulons éviter à tout prix dans le nouveau réseau, afin que les merveilles de Dame Nature puissent encore être admirées par de nouvelles générations de valeureux et passionnés explorateurs, respectueux de ce que la nature a mit des millions d'années pour façonner et former de telles oeuvres d'art.

Un peu plus en aval, un nouveau lac se présente. Pierre s'y engage tout de go et poursuit gaillardement sa progression avec de l'eau jusqu'à la taille, tandis que Millepattes et Patrick n'ayant pas encore rempli leurs bottes cherchent à passer sur les bords où des reliefs permettent de poser les pieds…

Bientôt, Patrick et Millepattes ne peuvent poursuivre plus loin à pied secs, le lac occupant toute la largeur. Comme de toute façon un nouveau lac profond se présente 30 mètres plus loin, l'heure de la retraite a sonné, si l'on ne veut pas remonter les puits avec un kilo de flotte dans chaque pied !

Nous refaisons le parcours contre l'amont, non sans admirer une nouvelle fois les merveilles. Une marmite est si bien polie que le Millepattes caresse le fond de la main afin de voir si les Fées ne l'aurait pas vernie à la peinture incolore tellement cela brille de mille éclats ! Et toute ces nuances de teintes c'est tout bonnement incroyable, alors que l'on pense se trouver au milieu de roches calcaires mornes et monotone, c'est tout le contraire !

Parvenus au départ de la galerie du Graal, nous nous y engouffrons rapidement, mais certes pas aussi fort qu'il y a 2 semaines, et pour cause ! Nous arrivons rapidement à l'endroit où deux gros blocs gênent un peu le passage et annoncent le prochain terminus de la galerie. Puis, passé le Mouille-cravate qui se passe joliment à 4 pattes dès aujourd'hui, la grimpée peut commencer pour se glisser dans l'étroiture et rejoindre le bas du puits de la Peur. Patrick et Pierre se débarrassent de leur combi étanche, le Millepattes, n'ayant pas trop chaud préfère la garder, d'autant plus que son kit un peu trop étroit aurait sans doute du mal à l'engloutir !

Millepattes n'a plus la forme. La journée a été longue, la fatigue le gagne et la remontée devient pénible. Pierre pense qu'il doit surchauffer dans sa combi mais ce n'est pas le cas. Le problème est que le Millepattes est déjà plus "large d'épaule" et qu'avec la combi en plus, le passage du méandre Blanche Glaise devient l'enfer à l'état pur ! Quelle débauche d'énergie que demande chaque centimètre de progression dans ces passages où l'on est coincé de toutes parts ! L'étroiture au débouché de la salle de la Cathédrale ce n'est pas mieux, ça passe ou ça casse… pauvre matos !

Malgré cela, le Millepattes n'a toujours pas chaud, et cela jusqu'au sommet du Puits de la Douche où la proximité de la sortie de l'enfer lui redonne un peu de courage. Parvenu dehors et n'étant bizarrement pas encore réchauffé, il préfère descendre tranquillement aux véhicules afin de se changer...

Arrivé au parc, il est 20h00, il fait quasi nuit et cette sale bise est toujours là ! Le Millepattes se débarrasse de ses combis aussi trempes dehors que dedans et là, un puissant frisson le parcours de l'échine jusqu'au bout des pieds ! Il s'empresse de se rhabiller et d'enclencher le "webasto" de son véhicule. En fait, c'est lui cette fois qui a passé tout près de l'hypothermie ! Grelottant et frigorifié, ce n'est qu'après une bonne douche chaude et des habits bien secs qu'il accepte de retrouver ses amis autour d'une bonne pizza à Vallorbe !

La rétrospective de la journée permet au Millepattes de comprendre un peu ce qui s'est passé : Le matin, il a barboté dans l'eau froide en travaillant, donc il a transpiré dans sa combi sans s'en rendre compte vu le refroidissement de l'eau qui l'entourait ! Puis, tout l'après midi à la topo ce qui ne réchauffe pas, il a encore perdu des degrés sans même s'en apercevoir et c'est seulement en fin de journée que l'équilibre a failli être rompu. Bref, il était temps de sortir !

Valait-il mieux se passer de combi étanche, quitte à sentir le froid et lutter en bougeant davantage comme il y a deux semaines ? Car ce jour là, le Millepattes n'a pas eu autant froid malgré les seilles d'eau glacées qu'il a pris comme tout le monde en remontant les puits !

L'expérience, la persévérance et l'avenir le diront !

Le Millepattes.