Derrière, un nouvel obstacle vertical semble pénétrable. Le haut d'un puits ? D'un méandre ? Ou simplement une sorte d'oubliette où seuls l'eau et le courant d'air peuvent s'échapper ? Etrangement, pour cette fois je ne me suis pas pris au jeu d'imaginer toutes les possibilités qui peuvent se présenter. A force de s'égarer dans de faux pronostics, j'ai préféré me laisser porter au gré du temps qui s'écoule, sans me poser de question, pour simplement constater ce que la nature nous réservera le moment venu. Car à ce petit jeu il n'y a aucun doute, Dame Nature est la championne du monde pour fausser toutes les hypothèses possibles et imaginables…

Aujourd'hui, 5 personnes ont répondu à l'appel de l'aventure, soit Bertrand, Michel et Pierre du spéléo club de Cheseaux, ainsi que Etienne et Marc du groupe spéléo de Lausanne. C'est autour d'un petit café que nous faisons la connaissance de Michel, membre du SCC. Hormis Bertrand qui l'a croisé une fois au local du club, c'est la première fois que nous le voyons ! Sans avoir été prévenu de sa présence aujourd'hui, j'ai quelques soucis de partir en exploration avec une personne que je ne connais pas. Le gouffre possède son lot de passages techniques propres à décourager les moins téméraires, je suis quand même embarrassé par cette situation ; il serait dommage de compromettre nos objectifs. Cependant, à l'écoute de ses années de pratique souterraine dans sa région natale des Cévennes (France), ainsi que quelques visites de classiques en Suisse romande, il semblerait que les techniques de cordes ne lui posent pas de problème.

Sur le parc à quelques minutes de l'entrée du gouffre, c'est sous la pluie que nous nous équipons. La météo ne va pas s'arranger pour la journée, alors autant s'en faire tout de suite une raison ! Certains se consolent en disant qu'il faut se dépêcher d'aller dans le gouffre pour se mettre au sec, s'ils savaient !… …

Nous dévalons les puits du gouffre qui sont étonnamment secs en rapport au temps qu'il fait dehors. Arrivé au puits de la Peur, dernier obstacle avant d'arriver au terme des dernières découvertes, je remplace le précédent bricolage de cordes appondues par un nouveau brin unique et flamboyant. Cette fois, c'est sans hésitation que Bertrand s'engagera sur la corde, la dernière fois c'est la mort dans l'âme qu'il s'était résigné à battre en retraite. Bientôt, toute l'équipe se retrouve au bas du puits, c'est même avec plaisir que j'apprends que Michel n'a eu aucune difficulté à se rendre jusqu'ici.

Sans perdre un instant, nous attaquons le dégagement du bloc qui mit fin à la dernière journée d'exploration. A l'aide d'une corde placée autour du caillou, il nous faudra une bonne dizaine de minutes pour le bouger petit à petit et l'extraire du goulet. Cette fois la voie est libre, il ne tient qu'à nous de poursuivre notre périple, qu'aujourd'hui nous allons partager en plus grand nombre. Au départ du passage, Bertrand donne encore quelques coups de massettes pour arrondir certains angles, mais n'étant pas autrement décidé à plonger dans cette sorte de boîte aux lettres, il préfère céder sa place à quelqu'un de plus grêle. Je m'enfile alors dans le pierrier et parvint sans peine au seuil de l'obstacle vertical, celui qui nargue mes pensées depuis un mois. Là, c'est avec bonheur et soulagement que je vois que la suite se présente sous la forme d'un petit ressaut d'environ 3 mètres, dont les proportions prennent de l'ampleur à mesure de la descente. J'avais l'appréhension d'une zone exiguë qui aurait sans doute signé l'arrêt des festivités, nous allons pouvoir encore apprécier de le vin enivrant de l'exploration. Cependant, la direction que prend notre couloir n'est pas ce que l'on désire de mieux, cela va même à l'opposé de nos profonds désirs, à savoir la galerie Merlin ou le méandre Pinpin, situés à moins d'une cinquantaine de mètres. En revanche, depuis le début de l'exploration du gouffre le courant d'air n'a jamais été aussi fort qu'en ces lieux, donc dans tous le cas il va bien nous conduire quelque part dans le réseau des Fées. Nous sommes tous persuadés que la jonction est proche, même si depuis quelques sorties nous avons un peu l'impression que les Follatons et les Fées se sont unis pour contrer nos avances…

Sans hésiter, je sombre tête en bas dans ce fourreau de pierre, pour aussitôt me rétablir dans la bonne position. Revenu au sommet du ressaut, j'ai cette fois beaucoup plus de liberté pour enlever encore quelques blocs afin d'élargir le passage pour les suivants. Bientôt, Bertrand s'engage les pieds en avant, et au vu de la rapidité à laquelle il franchit l'obstacle, ce n'est maintenant qu'un simple ralentissement. Au bas du R3, une jolie marmite s'est creusée dans la roche en place, attestant le lent travail de l'eau au fil des millénaires. Les gens arrivent à tour de rôle, et après le quatrième équipier je n'ai pas d'autre alternative que de poursuivre notre route pour libérer de la place. Un nouveau ressaut est ainsi franchit, plus vertical que le précédent, mais ne posant pas de difficulté à désescalader. Nous arrivons alors dans une petite chambre au sol revêtu d'une couche d'argile. Là, nous recoupons une petite rivière d'un demi litre/seconde sortant d'un méandre à moitié inondé, et qui poursuit sa route dans un laminoir où l'eau a eu la fâcheuse idée d'en occuper toute la largeur… Le puissant courant d'air suit le même chemin et ne fait que confirmer la marche à suivre ! Au-delà, avec le peu que l'on distingue sans devoir se mouiller, nous savons que le passage se prolonge dans les mêmes conditions sur au moins quelques mètres.

Avec ce nouvel obstacle, on peut vraiment dire que cette Baume des Follatons nous a gratifié de toutes les difficultés ! Un bouchon de 10 mètres de terre et d'éboulis pour commencer, des étroitures verticales, des passages en puits ou en méandre qui sont boueux à souhait, une grosse trémie instable, et voici maintenant qu'elle nous invite au bain rafraîchissant !
Actuellement, nous ne sommes bien sûr pas équipés pour la circonstance, et c'est justement ce qui nous tracasse.

Cela fait maintenant 5 minutes que notre groupe est en discussion pour trouver la solution, le bon compromis entre l'exploration et la topographie. Nous savons qu'en franchissant le passage aquatique les topographes ne pourront pas lutter bien longtemps contre le froid et mener à bien leur besogne. Il reste alors la possibilité de s'arrêter ici et lever la topo jusqu'au méandre Blanche Glaise, la fin actuelle du dessin. Mais tout de même, devoir se contenter de 10 mètres d'exploration pour la journée en étant peut-être à deux doigts de réaliser une jonction avec les Fées ? Et tout cela parce que l'on n'a pas envie de se mouiller au risque de grelotter durant quelques heures ? Pour ma part, le choix devenait aussi limpide que l'eau du ruisseau, d'autant que celui-ci s'échappe perpendiculairement à la direction initiale, augmentant ainsi les probabilités de se diriger dans la direction idéale.

Finalement, je m'engage sans discuter dans le laminoir. C'est sur un tapis de glaise molle que j'avance à plat ventre. L'eau s'insinue gentiment dans la combi, les gants et les bottes. La sensation est peu agréable, mais à la longue on s'y fait…
Heureusement, le plafond se relève après 3 mètres de reptation. La hauteur passe à 1,5 mètres pour une largeur d'un mètre. Un nouveau virage à angle droit me ramène cette fois dans la direction recherchée, maintenant tout concorde à merveille, la conquête du Graal arrive dans la dernière ligne droite ! L'excitation me gagne intensément, j'explique aux autres que le passage aquatique est très bref et que les dimensions reprennent de l'ampleur. Bertrand me rejoint en poussant le kit avec le matériel topo, que je récupère sitôt à ma portée. Tous deux, nous poursuivons la galerie sur une quinzaine de mètres. Là, à l'orée d'un bel élargissement, le ruisseau s'engouffre intégralement d'ans une perte. Nous arrivons à la base d'une cheminée. Devant nous, la galerie continue dans les mêmes proportions que celles juste après la baignade, à la différence que, et cela pour notre plus grand plaisir, avec l'eau en moins ! Je propose à Bertrand d'attendre ici pendant que je vais essayer de rapatrier le solde des copains. Je sens que la jonction est en passe de se concrétiser, j'aimerais bien que tout le monde puisse en profiter.

Revenu au passage aquatique, je donne les dernières nouvelles quant à la galerie sèche qui file droit vers les Fées. Michel est convaincu et s'engage dans l'eau. Derrière lui, Etienne et Marc ne suivent pas. J'insiste en prétextant que je ressens dur comme roche que la jonction est proche, mais rien à faire, ils sont tout autant bornés que moi ! En descendant, Marc a eu quelques soucis pour franchir le pincement final du méandre Blanche Glaise, au débouché du puits de la Peur. Dès lors, il n'arrive pas à penser à autre chose que ce passage au retour, avec peut-être d'autres complications plus sévères à la clé. J'imagine que Etienne ne désire pas le laisser seul, c'est pourquoi ils décident de remonter ensemble.

De retour vers la cheminée où j'étais sensé retrouver Bertrand et Michel, il n'y a plus personne ! J'y crois pas !... ... moi qui essaye comme un diable de regrouper toute la meute, c'est tout le contraire, c'est l'éclatement ! Je m'engage alors dans la galerie qui file devant moi, à la poursuite des éclaireurs se la jouant égocentriques le temps d'un moment ! Il faut dire que l'appât de l'exploration est déjà éloquent, si en plus on y ajoute l'attrait d'une jonction évidente, la tentation semble avoir été si forte qu'elle a balayé toute morale…

Cela fait maintenant une centaine de mètres que je progresse à quatre pattes sur un lit d'argile relativement dur. La galerie serpente dans tous les sens et je serai actuellement incapable de dire dans quelle direction je vais. Les dimensions n'ont pas changé depuis le début, grossièrement moins de 1,5 mètre au carré. Les traces que je suis dans la glaise me relèguent inévitablement au rang de pisteur, et vu la distance parcourue je commence sérieusement à douter de la jonction. J'arrive alors à un carrefour avec 2 conduits similaires, où il y a des traces de part et d'autre. Bientôt, une lumière se reflétant dans un bassin m'indique que Bertrand et Michel approchent. Après les réprimandes de circonstance... Bertrand, un peu confus, m'explique qu'il a débouché dans un méandre transversal sans aucune trace de passage, vu l'absence totale de sédiments.

Dans mes pensées, cette information ne fait pas de doute, il a débouché dans le réseau des Fées quelque part dans le méandre Pinpin, qui zigzague au dessous de la galerie Merlin. J'en connais seulement une partie, celle que l'on emprunte régulièrement pour shunter la fin de la galerie Merlin, assez argileuse. Cependant, Bertrand a peut-être aussi débouché dans l'amont de ce méandre, reconnu sur quelques dizaines de mètres seulement. Bien que nous avons déjà plusieurs heures à passer à la topographie de ce qui a déjà été découvert aujourd'hui, je ne vais bien sûr pas quitter les lieux sans savoir si la jonction est consumée, et à quel endroit ?

Le trio repart donc en direction du méandre et débouche rapidement dans celui-ci. Les dimensions sont vraiment importantes, environ 1,5 mètre de large pour 5 à 6 mètres de haut. Je n'arrive pas encore à être catégorique quant à la jonction, pourtant j'en suis intimement persuadé. Au vu des dimensions, nous ne pouvons être que dans le méandre Pinpin, quelque part entre la fin de la galerie Merlin et le passage de jonction Merlin-Pinpin, distant à peine d'une cinquantaine de mètres. Pour en être fixé, il suffit de prendre à l'aval où je sais que c'est le plus agréable. Après 10 mètres de parcours, un grand coude à gauche m'interpelle immédiatement. Je reconnais parfaitement l'endroit où l'eau a creusé un petit chenal étroit à l'intérieur du virage, tandis que nous progressons sur une banquette supérieure...

Ma joie est profonde... Après plus de 2 ans d'acharnement à tenter de percer le mystère de la Baume des Follatons, nous avons enfin réussi à fusionner avec le réseau des Fées. Une nouvelle entrée au cœur du dédale, un accès direct au jardin des délices, le paradis suprême et très convoité des explorateurs de la région. Pour l'heure, je trouve que Marc et Etienne seraient comblés en ces lieux, surtout que pour arriver jusqu'à nous il n'y a pas d'autres difficultés que de ramper quelques mètres dans l'eau. Bertrand, ayant quelques remords après sa petite échappée solitaire, se propose d'emblée d'aller chercher la paire manquante, en espérant seulement qu'il n'ont pas encore attaqué la remontée des puits. En attendant qu'ils reviennent, j'emmène Michel du côté de la galerie des Epées qui débute à quelques mètres de là, afin de lui montrer l'allure de ce vaste collecteur temporaire.

Après une dizaine de minutes, revenus au débouché de la galerie du Graal ainsi nommée pour des raisons évidente, Bertrand arrive au même moment, tout essoufflé après un aller-retour de plus de 200 mètres à quatre pattes sur les chapeaux de roues ! Il nous informe que Marc et Etienne ont entamé la remontée des puits, mais ils ont quand même pris connaissance de la bonne nouvelle.
Maintenant, Bertrand est tout en souci car le débit de la petite rivière que l'on croise le temps d'un bain forcé a selon lui augmenté sensiblement de débit. Avec son peu d'expérience, je ne m'inquiète d'aucune façon, je sais très bien que quand le doute plane en côtoyant une rivière, on a toujours l'impression que le débit grossit. Mais finalement, trempés comme nous sommes, je me dis que de toute façon nous n'allons pas faire du bon travail si l'on s'obstine à perdurer en ces lieux. Je propose alors d'entamer le retour, non sans faire au préalable un petit crochet à la cheminée Merlin, en passant par le passage de jonction Merlin-Pinpin. Arrivés dans cette cheminée d'une quinzaine de mètres où un petit ruisseau arrive du plafond et coule le long d'une grande coulée stalagmitique brunâtre, nous nous plaisons à nous rappeler que depuis 3 mois, date à la laquelle nous avons franchit le bouchon de blocs à l'entrée des Follatons, nous avons souvent pensé à déboucher dans le réseau à cet endroit. C'était le plus proche en distance, mais surtout le plus propice puisqu'il n'y a pas d'autres cheminées dans le secteur.

Soudain, Bertrand s'exclame qu'il vient d'entendre une arrivée d'eau surgissant à proximité. Mes problèmes d'audition ne me permettent pas de le contredire, néanmoins, avec les propos qu'il tenait il y a peu au sujet du débit de la rivière qui avait augmenté, je commence à croire qu'il n'avait pas été victime de son imagination… Je sais également que nous sommes dans un point bas du réseau qui collecte les eaux de crues. Par ailleurs, au printemps 2007, une partie du matériel que nous laissons sur place d'une sortie à l'autre avait été emporté par une crue, et c'est justement à 50 mètres d'ici que nous avons retrouvé une partie des affaires… Bref, la zone où nous sommes est franchement malsaine, alors dans le doute il faut vraiment décamper au plus vite !!!

D'un pas alerte, nous sommes sur le chemin du retour. Dans la galerie du Graal, je franchis un bassin avec de l'eau jusqu'aux genoux, alors qu'à l'aller cela ne dépassait pas la hauteur des bottes… Arrivé à la petite bifurcation où j'avais retrouvé il y a peu mes coéquipiers, une nouvelle rivière débouche de l'autre galerie alors qu'elle était parfaitement sèche à l'origine. En y réfléchissant, l'instant confirmé de la jonction a également déclenché le déluge, car c'est à partir de ce moment que les ruisseaux ont subitement grossit. Peut-être que les Fées et les Follatons n'ont pas digéré leur union et le manifestent à leur façon ?!...

Toujours est-il que la tension de chacun monte en flèche, la progression dans la galerie du Graal prend des allures de compétition ! Arrivés au passage aquatique surnommé "le Mouille-cravate", c'est de la folie ! A l'origine nous nous plaignions d'un petit ruisselet qui nous obligeait à ramper dans 3 centimètres d'eau, alors que maintenant c'est une rivière en furie de 10 centimètres de profondeur qui nous balaye la figure ! Le franchissement étant assez limite, l'euphémisme de dire que l'on a eu chaud est peut-être quelque peu déplacé !!! Arrivés à la base du puits de la Peur nous sommes enfin soulagés. Il reste certes quelques puits peut-être ruisselants à remonter, mais trempés comme nous sommes, je ne vois pas trop ce qui pourrait nous arriver de pire ? Et pourtant...



Après avoir mangé seulement quelques bricoles pour ne pas devoir le regretter avec l'effort de la remontée, Michel commence l'ascension de la corde pendant qu'avec Bretrand nous essorons nos chaussettes... Michel n'a pas l'air très à l'aise dans ses mouvements, mais peut-être que c'est par manque d'habitude. En second, Bertrand s'élève d'un mouvement plus alerte, il faut dire qu'avec l'entraînement de ces derniers mois il évolue presque dans son propre jardin !
Pour ma part, je sais qu'en étant le dernier la remontée ne sera pas rapide, alors dès que la corde devient libre je ne suis pas du tout pressé d'emboîter le pas de mes coéquipiers, d'autant que nous avons convenu de ne pas nous attendre entre les puits.

Dans le méandre Blanche Glaise, les passages répétés de personnes et kits franchement mouillés ont laissé des séquelles, on se croirait en train de ramper dans un marécage visqueux ! Arrivé dans la trémie sous la salle de la Cathédrale, la randonnée tourne au cauchemar ! L'eau coule de partout et l'escalade de la trémie se fait presque à l'aveuglette sous une cascade d'embruns. Il y a deux minutes je pestais dans le méandre sur la quantité de boue nous recouvrant entièrement en l'espace d'une dizaine de mètres, en regardant maintenant ma combinaison j'ai l'impression de sortir tout droit d'une machine à laver !

Ici, c'est la même eau qui alimente la rivière au départ de la galerie du Graal, donc en ayant rampé juste avant dans ce cours d'eau très en colère, on peut aisément s'imaginer ce qui s'abat actuellement sur nos épaules ! Au sortir de la trémie, Bertrand vient m'accueillir car il commençait à s'inquiéter de mon retard. Michel est déjà engagé dans le puits suivant, d'une hauteur de 22 mètres. L'attente est donc de mise, il faudra s'y faire car nous sommes encore à près de 120 mètres de profondeur. Avec Bertrand, nous constatons que cette nouvelle remontée de corde va être aussi arrosée que dans la trémie, nous avons quand même quelques soucis pour la sortie du puits où il faut franchir une étroiture verticale d'environ 3 mètres.
Heureusement il n'en sera rien, l'eau commence à se répandre juste sous le passage. Arrivé au sommet de ce puits, je retrouve Bertrand et Michel qui patientent gentiment ; Marc et Etienne sont juste au-dessus. En fait, ces derniers se trouvaient dans les puits au moment où la crue s'est déclenchée, ils n'ont pas voulu poursuivre en pensant venir nous prévenir de sortir au plus vite. Finalement, ils se sont rendus compte que redescendre dans la tourmente s'était s'exposer à de nouveaux risques, alors ils ont préféré nous attendre. Lorsque qu'ils nous ont entendus approcher, c'est avec soulagement qu'ils ont repris le chemin de la sortie.

A mes côtés, Michel a vraiment mauvaise mine. Son visage est blanc comme un drap et il tremble de manière exagérée ; mais j'imagine bien que c'est indépendant de sa volonté. Il me reste un litre de thé chaud que j'ai à peine entamé, il est vrai que jusqu'ici nous n'avons pas vraiment pris le temps de nous arrêter ! Après quelques gorgées, la corde devient libre et Michel préfère démarrer sans attendre l'ascension du P37. Ce puits est un peu moins arrosé que le précédent, mais en tout cas pas suffisamment pour s'en réjouir ! L'eau provient du haut de la cheminée qui a l'air de se perdre dans les hauteurs astrales. Après 20 mètres de remontée, un fractionnement permet de se décaler gentiment des embruns, et l'on s'élève ensuite dans une cheminée parallèle aboutissant au goulet des Aveugles, une nouvelle étroiture verticale permettant de sortir du puits. C'est le genre de passage où généralement les gens grognent, car il faut avancer par des petits à coups sur les bloqueurs, l'espace n'étant pas suffisant pour lever les genoux. Mais en ce moment, c'est paradoxalement une grande joie de fournir quelques efforts supplémentaires afin récupérer un peu de cette chaleur qui nous fait défaut, mais surtout, le plus appréciable, se retrouver dans un endroit totalement sec.

J'arrive au bas du P20, le puits de la Douche. Comme son nom l'indique, nous savons depuis quelques semaines que ce puits est passablement actif par temps de pluie, ce qui veut dire qu'actuellement je n'aurai pas besoin de remettre une nouvelle pièce dans le lavage automatique… Et c'est vraiment peu dire, car justement la rivière suit exactement le chemin de la corde… Cependant, à seulement une cinquantaine de mètres sous la surface, le moral s'en porte déjà beaucoup mieux, alors finalement, un peu plus ou un peu moins d'eau quelle différence ?

Arrivé au sommet de ce puits, je vois Bertrand qui s'engage dans la dernière longueur, et j'ai le plaisir de retrouver Marc qui est en attente. De bon coeur, malgré qu'il grelotte, il a préféré céder sa place aux suivants pour qu'ils ressortent au plus vite. Il m'explique les détails de leur équipée, et notamment la grande inquiétude à notre sujet lorsqu'ils ont vus ces déluges d'eau s'abattre dans les puits. Il me parle également de Michel, qui au bas du puits de la Douche n'était toujours pas réchauffé malgré la remontée du puits de 37 mètres. Il tremblait toujours comme une feuille, et Marc lui a également fait boire un peu de thé chaud avant le nouveau tronçon de corde, la nouvelle rincée !

Un peu plus tard tout le monde est enfin sortit du trou. Il pleut toujours, mais maintenant c'est presque un plaisir de sentir de l'eau chaude nous couler dessus...
Chacun de nous a le sourire aux lèvres, c'est peut-être en repensant à notre aventure aux multiples rebondissements. Comme dans toutes les nouvelles cavités, il faut toujours un certain temps pour comprendre et évaluer les dangers, nous venons aujourd'hui d'en faire les frais sans que personne ne puisse imaginer ne serait-ce qu'un instant, que ce gouffre draine autant d'eau à la fois. Espérons que notre expérience servira pour d'autres et évitera peut-être une prise de risque aux plus audacieux.

Le livre de l'exploration de ce gouffre se termine, mais il a engendré de nouvelles pages blanches dans l'exploration du réseau des Fées. Cependant, il faut se souvenir que cela n'est pas arrivé sans peine. Il y a plus de deux ans, tous nos espoirs se portaient sur la découverte d'un nouveau gouffre, la Baume des Follatons. Après quelques séances de désobstruction, nous avons compris qu'il faudra user de patience et ténacité pour en venir à bout. Il en a été de même après avoir vaincu le bouchon d'entrée, car à plusieurs reprises nous avions perdu tout espoir de jonction avec le réseau des Fées. Finalement, après s'être cramponné fermement dans notre obstination, le rêve d'une poignée de copains s'est quand même concrétisé.

Que notre expérience soit le témoin à tous ceux qui doutent de leur rêve, tout finit un jour par arriver à qui ne peut étancher la soif de l'espoir. Sans oublier cette citation de Mahatma Gandhi :

La vraie force n'est pas physique, elle vient d'une volonté indomptable